jeudi 14 septembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 1)

Chapitre 1: Définir l'horizon


Jean-François Beaulieu m'a dit à plusieurs reprises au cours des dernières années à quel point il voudrait vraiment retourner à Yosemite. Son projet? Grimper El Capitan en libre avant son 40e anniversaire (en novembre 2017).

A priori je n'avais jamais vraiment considéré cette destination d'escalade. J'avais toutes sortes d'idées préconçues: c'est loin et coûteux, faut louer une auto, j'hais l'escalade artificielle (même si j'en ai jamais fait). Bref probablement que j'étais plus intimidé qu'autre chose.


C'est après mon voyage à Indian Creek ce printemps que la graine a réellement germé en moi. J'y avais affiché une forme assez étonnante pour les voies de fissure et je commençai à me dire que j'étais peut-être prêt, physiquement et mentalement, à aller me faire botter à Yosemite. Après tout Yosemite n'est-elle pas la mecque de l'escalade moderne? Là où cette discipline a réellement pris son envol en Amérique du Nord?

Après avoir abordé à quelques reprises le sujet avec Jeff au cours de l'été, nous avons décidé de considérer sérieusement le projet pour l'automne 2017. Au fil des mois, je remarquai que Jeff et moi avions une bonne saison 2017, pas nécessairement en grimpant ensemble, puisque nous avons plus ou moins eu d'occasion cette année, mais chacun de notre côté, à notre façon, nous avons eu, je pense, des développements intéressants. Disons que ça me donnait une certaine confiance. Ne restait qu'à arrimer le tout avec le travail, obtenir les permis des autorités concernées et s'entraîner en conséquence.

Demeurant tout de même réaliste sur mes capacités de suivre Jeff dans son projet, je me suis continuellement rappelé que j'y vais avant tout pour le supporter dans la réalisation de son objectif et prendre de l'expérience de bigwall en grimpant à ses côtés. Parce que grimper El Capitan en libre, c'est à dire en ayant recours à nos seules capacités physiques et techniques, les protections insérées dans le rocher ne servant que pour sauver nos vies en cas de chute, n'est pas une mince tâche.

De fait, la voie la plus facile pour réaliser cet objectif, tout en ayant une "vraie" expérience de bigwall sur El Cap, est Freerider (5.13a). Et c'est cette voie que nous allons tenter de compléter.

Freerider est en fait une variation du Salathé Wall, évitant 2 longueurs cotées 5.13b/c demandant des aptitudes exceptionnelles de fissures et de body english (de fait ces 2 longueurs n'ont été enchaînées que par une poignée de gens dans le monde actuellement).

Quand je dis que Freerider est la voie la plus facile pour grimper El Capitan, c'est vite dit. Freerider, en plus d'être cotée 5.13a, comporte environ 1 000 m d'ascension verticale (environ 35 longueurs). Outre le fait que l'on doive y dormir plusieurs nuits, elle nécessite une maîtrise de toute une panoplie de styles d'escalade, de la fissure à doigts en passant par des redoutables fissures hors-largeur jusqu'à des cheminées exposées et intimidantes. Si on en croit ce que Jeff me raconte, les fissures c'est la partie facile! Encore faut-il surmonter les faces lisses clairsemées de minuscules petites croutes coupantes et des dalles dépourvues de prises qu'il faut grimper en s'agrippant à des cristaux pratiquement invisibles à l'oeil nu, sans oublier les nombreux dièdres où des dulfers très pompants nous attendent. Bref, il faut être un grimpeur très complet et très solide pour avoir une chance de grimper chacune de ses longueurs en libre.

Pour une idée du topo: http://gripped.com/wp-content/uploads/2014/10/topo.png

Mon autre inspiration d'aller faire cette voie est l'ascension que Stéphane Perron a faite en solo encordé en 2007 (https://www.climbing.com/news/all-free-rope-solo-of-el-capitan/). Chaque longueur sera pour moi l'occasion de jauger l'ampleur de l'exploit accompli par mon ami et mentor qui a leadé chaque pitch, l'a nettoyé puis a dû regrimper la longueur sur des poignées d'ascension pour ensuite hisser ses haulbags. Même de mon salon ça m'apparait complètement débile!

Il reste 7 jours avant le départ. L'objectif est là, visible à l'horizon. Il s'agit de ne pas trop anticiper, laisser couler le stress, vivre à fond. On espère pouvoir donner des nouvelles et peut-être même des vidéos live du mur à la Tommy Caldwell. Restez branchés!!