dimanche 24 décembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 7)

Chapitre 7: Funstuff

4e journée sur El Capitan.

Pour la première fois, je sens que mes membres sont endoloris. Le rituel du matin est plus pénible, robotique, mais toujours le soleil brille dans le ciel bleu, ça s'annonce chaud! En préparant notre diner nous nous rendons compte qu'un rongeur a mangé une partie de nos tortillas. Malheur!

Cette pensée est rapidement chassée par la perspective d'une journée très intéressante: juste grimper et fixer des cordes au fur et à mesure de notre progression. Enfin le plaisir peut commencer!

Après s'être hissés au-dessus de la cheminée de la veille à l'aide de nos poignées d'ascension, Jeff se lance dans la première longueur de la journée.

Jeff progresse rapidement alors que je lui paye la corde à travers l'ATC.

Au-dessus de nous, le profil de la paroi se redresse drastiquement.

La première longueur est somme toute aisée, bien que je n'en aie aucun souvenir précis.

Enfin un vrai réchaud que l'on peut apprécier sans vraiment avoir besoin de se concentrer.

J'aime cet état d'esprit où l'on sait que l'on bouge, mais pendant lequel les mouvements sont posés, sentis et précis, exempt de peur ou d'hésitation, seulement guidés par l'instinct. C'est un sentiment similaire à celui où nous sommes près de notre limite, mais que l'on connait chaque petit mouvement du corps permettant d'enchainer une longueur; seulement c'est l'état de conscience qui est différent. C'est l'instinct et l'expérience opposés à la pratique.

La deuxième longueur est beaucoup plus soutenue. Une longueur parsemée de dulfers verticaux et de fissures à doigts. Je m'en sors tant bien que mal et bien que je ne sois pas à ma limite, l'exposition diminue mon aisance. J'apprécie néanmoins chaque moment passé à me batailler avec ma peur.

La peur est un boulet qu'il faut battre et dominer pour avancer, tant dans la vie qu'en escalade. J'aime tester ma résilience face à mes peurs, voir jusqu'où je peux me rendre sans perdre les pédales. Ça me fait me sentir vivant, en contrôle de ma destinée.

Jeff qui complète la 17e longueur 10c. Loin en-dessous nos haulbags sont visilbles sur Hollow Flake Ledges


La troisième longueur est singulière. Il s'agit de "The Ear", l'Oreille. Une section très verticale de fissure thinhand donne accès à un encaissement où un repos mitigé peut être obtenu. De cet endroit, il faut faire une traverse difficile vers la gauche sur des réglettes espacées. La présence d'un coin empêche de voir les prises et une mauvaise lecture est ici difficile à réparer, comme je l'apprendrai malheureusement (lire que je suis tombé). Un repos complet mène ensuite à l'Oreille, une cheminée incroyable qui se referme de plus en plus au fur et à mesure que l'on y grimpe. Sa particularité est que la cheminée se referme complètement à un certain point et que la solution pour en sortir consiste à traverser horizontalement un toit de quelques mètres. C'est incroyable d'avoir à traverser une cheminée, ça l'est encore plus quand on voit le fond de la vallée à 500m en dessous de nous! La vue est un mélange de rêve érotique qui donne envie de vomir. Drôle de mélange. La traverse s'effectue sur quelques bonnes prises sur lesquelles il est possible de se reposer, mais la seule vraie façon de progresser est d'avancer à coup d'"ailes de poulet" et de coincements de corps plus bizarres les uns que les autres. De la vraie bonne bataille de cheminée! Un vrai délice! La sortie de la longueur est incroyablement exposée sur du rocherbrun/orangé.

Photo trouvée sur le Web montrant le profil de notre 4e journée sur le mur

Arrive enfin le Monster Offwitdh. LA longueur que tout le monde rêve de faire! La raison pourquoi on fait Freerider. Ahah!

Jeff se lance dans la traverse 11d. Cette dernière suit une série de prises qui descendent tranquillement vers la gauche jusqu'à un point où elles disparaissent. La fissure doit alors être rejointe par un long mouvement d'étirement du bras gauche. La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a pas de pieds, que de la friction. Jeff solutionne assez facilement la séquence et réussi à embarquer dans la fissure.
Jeff dans le Monstre après la traverse

Dingdingding, le combat commence.

Quelle bataille de Jeff dans cette fissure hors-largeur de six pouces d'une longueur de 50m!! Centimètre par centimètre, son progrès est extrêmement lent.

Jeff dans le premier tiers

Complètement épuisé physiquement, il tombe à quelques mètres de la fin des difficultés après une bataille de plus de deux heures trente au gros soleil. Déçu. son moral est au plus bas alors qu'il m'assure.

Jeff abattu par son échec dans le Monster Offwidth

Après avoir effectué un rappel pour éviter la traverse 11d dont le pendule potentiel en cas de chute m'intimidait trop, je m'élance dans le Monstre sous un soleil de plomb! L'attrape c'est que, vu le style d'escalade impliqué, constitué de contact très intime et intense avec le rocher, le grimpeur doit porter un gilet long pour protéger sa peau de l'abrasion du rocher. On a vite l'impression de nager en plein sauna, je vous l'assure!!

Ma stratégie est d'entrer dans la fissure à moitié, côté gauche à l'intérieur. Un verrou du bras gauche, main et coude appuyés sur les parois opposées de la fissure à hauteur d'épaule est utilisé comme base. La jambe gauche est montée à hauteur de la hanche talon et orteils exerçant une force opposée pour se maintenir en place. La main droite, pouce par en bas, est appuyée sur le rebord de la fissure devant mes yeux. La clé pour progresser, c'est le pied droit. Le talon doit être appuyé sur la paroi qui se trouve derrière, le côté gauche du pied appuyé sur le rebord extérieur arrondi de la fissure. Essentiellement, c'est le mouvement du mollet qui fait monter mon corps vers le haut, un ou deux pouces à la fois. Le reste de mon corps sert seulement à me maintenir en place.

Funstuff comme dirait Fred!

L'effort physique est constant, il faut donc bouger "rapidement" et établir un rythme pour contrebalancer la douleur et l'épuisement. On refait, encore et encore, les mêmes mouvements aliénants en se disant: "y'en reste pas long, y'en reste pas long!" Le problème c'est que 50m, c'est long! :) Quelques repos taxants physiquement, dont il faut tirer profit, sont rencontrés dans ce pèlerinage. Bien que le processus soit monotone du fait que les mouvements soient pratiquement identiques d'un bout à l'autre, j'ai rarement eu autant de plaisir à grimper une longueur d'escalade. Vraiment, mais vraiment un style que j'adore! Le genre de longueur où l'on peut juger de la résilience  et de la propension à souffrir de quelqu'un!

Victoire!!

Jeff fidèle à lui-même, et même s'il n'a pas réussi, est allé au bout de son potentiel. C'est l'épuisement qui a eu raison de lui.

Lorsque j'arrive au relais, il me dit: "Cette longueur-là, je ne la referai pas...même si je ne l'ai pas réussie".

Notre journée terminée, nous rappelons sur nos cordes fixes pour retourner dormir sur Hollow Flake Ledges.

16. Jeff - 5.10a - 32m - Assez facile.
17. Dan - 5.10c - 37m - Endurance, très beau.
18. Jeff - 5.10d - 27m - Traverse difficile sur réglettes. The Ear: cheminée malade!
19. Jeff - 5.11d - 50m - Très difficile traverse pour accéder au Monster Offwidth (11d). Ensuite 50m très physique (11a/b).

dimanche 3 décembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 6)

Chapitre 6: Durs labeurs

Troisième journée sur le mur.

Elle commence comme toutes les autres, sous le regard bienveillant des étoiles qui, loin dans le ciel, brillent de mille éclats.

Couché dans mon sac de couchage, je prolonge le plaisir d'un sommeil mitigé, passé à me tourner d'un côté et d'autre, en les regardant s'éteindre. Dormir sur un minuscule matelas de mousse de 1/4 de pouce d'épais est difficile, surtout lorsque l'on est habitué à dormir sur le côté droit. Le poids de notre corps paralyse tranquillement le bras et nous empêche de dormir d'un sommeil trivial. S'habituer à dormir sur le dos, m'apparait comme une bonne idée pour quiconque entreprend une aventure verticale de 1 000m.

Alors que je suis à mijoter ces réflexions, le ciel se teinte tranquillement de bleu: c'est l'heure de se lever.

De l'autre côté de la vire, Jeff est déjà en action. J'entends le brûleur se mettre en marche. L'odeur du café se fait rapidement sentir. Je ne me sens pas particulièrement courbaturé, ce qui est bien.

Tous les matins, nous opérons la même routine. Nous nous levons avec les premières lueurs du jour, vers 5h30. Une fois le premier service de café en route, nous nous préparons pour la dure journée de labeur qui nous attend. Diverses tâches sont nécessaires pour commencer la journée. Il faut notamment mettre nos verres de contact (désagréable), analyser le tracé de la journée (motivant!), réorganiser le matériel (tannant), déjeuner (jouissif), préparer le diner (boire le jus de canne de thon est de loin le meilleur moment de ma journée), remplir nos gourdes (NE PAS verser à côté des gourdes!!), replacer nos possessions dans les sacs de hissage (important de se souvenir où se trouve chaque objet)...et faire un caca (expérience mitigée).

Je vous épargne les détails croustillants de cette dernière étape, mais toujours est-il que les néophytes en big-wall doivent comprendre que nous ne pouvons pas abandonner nos excréments sur le mur. Déjà que nous jetons notre urine en bas (le plus loin possible de la voie), nous devons malheureusement trainer nos déchets solides avec nous. Comme nous mangeons très santé et que la demande en calorie est excessivement élevée, nous ne produisons pas beaucoup de déchets organiques, mais toujours est-il que cette étape de la journée n'est pas ma préférée. Peut-être qu'apporter une revue porno serait une bonne stratégie pour la prochaine fois? Bref, la stratégie est d'utiliser des sacs de poubelle et de les conserver dans un contenant de plastique baptisé "WallJohn" (on pourrait l'appeler Raymond ou Roger que ça changerait rien). Le WallJohn est ensuite attaché en dessous des sacs de hissage pour le restant de la journée et nous nous en tenons le plus éloigné qu'il est possible.

Une fois notre routine terminée, je fais l'ascension de la corde fixe jusqu'au premier ancrage. L'objectif de la journée est de hisser nos bagages jusqu'à Hollow Flake Ledge et de grimper le plus de longueurs par la suite.

À 7h30 je suis au relais, il fait déjà suffisamment chaud pour que je n'aie qu'un t-shirt sur le dos.

Commence notre labeur de hissage. Comme le profil des 3 longueurs que nous avions grimpées la veille n'est pas vertical et qu'il tend à se déplacer vers la gauche, le hissage est difficile. Les sacs s'accrochent au moindre obstacle et il faut parfois descendre en rappel pour les décoincer. Comme nos sacs pèsent environ 130lbs chacun, hisser est extrêmement difficile physiquement.

La procédure est la suivante: la seule poulie que nous avons est installée dans le relais. Nous y attachons un jumar pour empêcher la corde de redescendre avec le poids du sac. Nous attachons une dégaine avec un autre jumar sur notre boucle d'assurage. La technique de hissage est simple. Il faut monter ses pieds au niveau des ancrages et pousser (squat inversé) de toutes ses forces pour faire monter un sac de 2 ou 3 pouces. Recommencer cette procédure sur 40m et recommencer pour hisser le deuxième sac. Pour ma part, une traction est pratiquement équivalente à une répétition maximale. Mes pulsations sont accotées dans le tapis, mes blessures de poumons dues à mes nombreuses pneumonies me font souffrir. Avoir su, je me serais entraîné différemment et j'aurais fait beaucoup plus de deadlift :)

Alors que Jeff allait partir de HeartLedges, Nick arrive pour venir chercher les bagages que lui et Corey avaient préalablement hissés en vue de leur ascension (voir chapitre 3). Il confirme que Corey a la cheville cassée et qu'il n'est pas envisageable pour eux de faire leur ascension. Avant de repartir, pour nous remercier de les avoir aidés, il nous fait cadeau de 4 cannes de bières. Wouuuuhou! (c'est comme gagner à la lotterie!)

Alors que la journée avance nous remarquons que toutes les personnes qui se trouvaient dans Freerider redescendent au sol. Certains étaient montés pour aller essayer le crux de la voie, alors que d'autres rappelaient depuis le sommet pour déposer des vivres sur la paroi à des endroits stratégiques. Leur objectif est de grimper Freerider en moins de 24hres; ils désirent donc pré-placer eau et nourriture à l'avance pour réduire leur poids. Nous sommes impressionnés et avons bien hâte de les voir nous dépasser. Leur départ est prévu pour dans 2 jours nous disent-ils (voir le lien suivant: http://elcapreport.com/content/elcap-report-1012-101817).

Hisser nos sacs jusqu'à Hollow Flake Ledges (3 longueurs) prendra finalement toute la journée. 3 longueurs pour plus de 10 heures d'efforts!! La chaleur de cette journée fut accablante et l'effort éreintant. La soif m'accompagnait à chaque instant de la journée. À 10h j'avais déjà bu 2L des 3,5L que je pouvais boire pour la journée. De mémoire, je n'ai pas souvenir d'une journée de ma vie aussi difficile physiquement, à cuire au soleil, sauf peut-être lorsque je faisais le triathlon Ironman (3,8km nage, 180km vélo et 42,2km de course). 

Une fois installés sur Hollow Flake Ledge, nous décidons de grimper au moins une longueur: une cheminée 5.7.

Je décide, encore une fois, d'y aller en tête.

Les parois de la cheminée sont lisses et dépourvues de prises. Il faut progresser dans un style cheminée parfait. 5.7 mon cul...Je me débat pour avancer, un pouce à la fois. Ma seule protection est le #6 que je dois trainer avec moi. À 20m au-dessus de Jeff je n'ai toujours que mon #6 comme protection. À la moitié de la cheminée, le topo disait de sortir de la cheminée pour rejoindre de bonnes prises. Pour sortir de la cheminée je dois me déplacer de 2 ou 3 mètres sur ma gauche. J'ai peur de m'éloigner du #6 puisqu'en cas de chute il pivotera, ce qui le ferait tomber. Je continue donc dans la cheminée qui rapetisse pour devenir hors-largeur. Après une bonne bataille, je sors à l'ancrage, épuisé de ma journée. L'apprentissage se poursuit que je me dis.

Alors que j'assure Jeff, je regarde autour de moi. La vue, comme toujours, est magnifique. Au-dessus de moi, la paroi se redresse drastiquement pour devenir verticale. Le Monster Offwidth, notre prochain adversaire, nous attend, la gueule ouverte. J'en ai des nausées tellement cette longueur est impressionnante vu d'en dessous.

Pouvez-vous me voir dans la cheminée 5.7? Suivez les cordes. Loin au-dessus, le Monster offwidth attend la gueule ouverte.

Alors que je repense au hissage de la journée, des doutes surgissent dans mon esprit. Qu'est-ce que je fais ici? C'est ça grimper un big-wall? C'est plus un job que de l'escalade...Ces questions réveillent le côté combatif de moi-même et mon orgueil s'élève d'un cran. On verra bien qui rira le dernier.


Le coucher de soleil, grandiose comme toujours

15. Dan - 5.7 (cheminée) - 35m - Faire suivre le #6 jusqu'au milieu. Traverser vers l'extérieur (gauche) pour rejoindre de bonnes prises (épeurant et dangereux de déloger le #6 en cas de chute). Si vous continuez tout droit (comme moi), la cheminée devient hors-largeur (plus difficile, mais moins épeurant (un peu)).