samedi 3 mars 2018

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 13)

Chapitre 13: La descente

Je me réveille courbaturé à souhait.

Les racines qui peuplaient mes rêves étaient donc bien réelles.

Nous sommes vivants, les ours que j'imaginais ne s'étant jamais matérialisés.


Je peux vous dire qu'il fait froid en ce début du mois d'octobre à quelques 2 300m d'altitude.

Un avantage dont je n'ai pas traité jusqu'à maintenant est que Yosemite possède un climat extrêmement sec, de sorte que le phénomène de rosée y est absent. Nos sacs de couchage ne se mouillent donc pas aux petites heures du matin comme ce serait le cas au Québec. Cet élément est intéressant lorsqu'on dort sans tente sur une paroi...

S'ensuit ce que j'imagine être la dernière phase de nos routines matinales. Vont-elles me manquer un jour? Seul le futur le dira. Une chose est certaine, je n'ai plus de verres de contact, je ne peux donc plus retirer ceux que je porte; si j'en perds un en chemin, je vais être dans le caca.


Nous mangeons nos dernières rations de déjeuner; il nous reste du café, quelques barres d'énergie, du riz sec et du putain de beurre de peanut.

Nous avons droit au plus beau levé de soleil que nous avons eu jusqu'ici, l'un des plus beaux que j'aie vus de ma vie. Soudainement mon café goutte tellement meilleur.

Comme il faut profiter de chaque moment dans la vie, le bonheur étant de courte durée, je prends le temps d'absorber tout ce qui nous entoure.



Les rayons arrivent droit dans nos yeux. La lumière est si distincte et sa gradation si claire que j'ai l'impression d'être à mi-chemin entre la nuit et le jour. La vue sur les Sierras et Halfdome est stupéfiante. Voir ce monolite de granite jaillir de nulle part, scindant l'horizon, est unique.


Magnifique levé de soleil sur El Capitan


Jeff me tire de ma rêverie alors qu'il revient d'explorer les alentours. Il dit avoir reconnu notre position et l'itinéraire à suivre.

Nous chargeons nos fardeaux et entamons la descente.


En sortant des bois, nous nous trouvons devant une immense dalle en forme de bol. Plutôt une moitié de sablier. C'est extrêmement exposé. Je suis plutôt dubitatif devant cet itinéraire, mais Jeff est catégorique: il faut traverser. Tomber ici avec nos sacs signifie assurément la mort. Il n'y a pas de deuxième chance.


Je ne me sens par ailleurs pas à mon meilleur, mes jambes étant plutôt ankylosées par le manque d'exercice des 9 derniers jours. Je dois donc rester très concentré sur chaque pas que je fais.

Soyons honnêtes, se promener en terrain technique avec un sac de 70-75lbs sur le dos est périlleux.

Comme c'est le cas pour bon nombre de sommets, la descente est souvent synonyme de blessures ou de mort, et El Capitan ne fait malheureusement pas exception à ce principe.


Malgré mes peurs, la traverse se passe bien. De l'autre côté, nous marchons toujours dans une direction générale Nord-Est. Après une heure trente passée à marcher sensiblement à la même altitude, nous arrivons à un point où il n'est plus possible d'avancer. De l'autre côté d'un immense ravin, les Three Brothers, une autre formation de pics rocheux, sont bien visibles.

Il est environ 9h30 et je suis convaincu que nous ne sommes pas sur le bon itinéraire.

Je sors donc mon téléphone portable (hourra j'ai du réseau!) Après quelques recherches, impossible de se tromper: nous ne sommes pas du bon côté d'El capitan. Nous sommes beaucoup trop au Nord et surtout beaucoup trop haut.

Nous rebroussons donc chemin. 3h00 d'efforts perdues à vau-l'eau.

Nous devons évidemment retraverser le bol du départ, mais comme nous arrivons légèrement plus bas, le profile de la pente est beaucoup plus prononcé, ce qui rend la traversée encore plus dangereuse.

À ce stade-ci, la fatigue rend mes mouvements insécures et j'ai vraiment peur de glisser.

Tant bien que mal, nous réussissons à traverser, mais je commence à me sentir vraiment fatigué, las et démoralisé.

Arrivés de l'autre côté, un genre d'arbuste nommé Manzanita, un spécimen à mi-chemin entre le rosier et le cèdre, m'empêche littéralement d'avancer. Souple, tout en étant extrêmement rigide, il laisse passer dans un sens, ou donne l'impression qu'il le fera, mais bloque carrément dans les autres. Essayer de forcer le passage résulte généralement en une poignée de sacres et des lacérations aux vêtements ainsi qu'à toute chair exposée.

Je me retrouve donc, comme ça m'arrive souvent, à me batailler contre la nature et la frustration me gagne progressivement. J'en suis à un point où tout me fait chier. Je veux juste descendre d'ici et en finir avec cette aventure.

Un buisson de Manzanita. Ne vous battez pas avec cet adversaire coriace!

Clairement mon attitude n'est pas la bonne et cela ne produit pas d'effets profitables: je tombe à multiples reprises, je m'écorche et je m'épuise davantage, ce qui engrange d'autres sacres, etc...


Après bien des efforts inutiles, je finis par sortir de ce labyrinthe infernal.


Nous revoilà sur le bon chemin.


Petit aparté. Peu importe la voie que vous grimpez sur El Capitan, pour en descendre, il suffit de suivre la falaise à une distance raisonnable en direction EST. Toujours garder le bord de la paroi en vue. Si vous montez ou conservez la même altitude, VOUS N'ÊTES PAS SUR LE BON CHEMIN.



Bref, voici ce à quoi ressemble la descente. L'entonnoir que nous avons traversé à 2 reprises se trouve au-dessus des taches noires visibles sur le mur au-dessus des arbres.


La descente d'El Capitan

Précisons que la descente n'est évidemment pas aussi difficile que la montée, mais cela demeure un exercice dangereux. On parle ici d'un terrain très incliné où une chute risque, au mieux, de résulter en une foulure de cheville ou, plus vraisemblablement, la mort.

Quelques passages sont de Classe 4, ce qui implique que certains mouvements ressemblent à de l'escalade sans corde. Il faut par ailleurs être constamment sur ses gardes puisque le rocher change drastiquement de texture. Alors que parfois il est rugueux et adhérent, il peut devenir vitreux en un tour de main et le pied est susceptible de glisser à tout moment.


L'utilisation des mains est nécessaire pour dégrimper à plusieurs endroits. Des cordes fixes sont parfois disponibles pour s'aider, encore faut-il quelles soient dans un état suffisamment bon pour permettre qu'on leur fasse confiance.


Je vous épargne les détails, mais j'ai trouvé cette partie extrêmement dangereuse. J'ai pourtant vécu de drôles d'aventures dans ma vie, notamment lorsque j'ai passé du temps sur les monts Robson et Assiniboine en solo en 2009 et je ne me souviens pas m'être senti aussi proche de la mort. Évidemment je n'avais pas de sac de 70lbs sur le dos à ces occasions. Quand j'y repense, 70lbs c'est quand même 50% de mon poids...

Arrivé à un certain point, 4 cordes fixes, ou généralement fixes, permettent de rappeler, aisément??, jusqu'à la forêt où il n'y a plus qu'à marcher 2km pour arriver au parking. Les cordes fixes étaient en place lors de notre passage, mais certaines étaient si usées que des noeuds avaient été faits. Rencontrer un tel obstacle à mi-chemin d'un rappel est une expérience en soi. Cela implique d'ôter son dispositif de rappel de la corde pour le faire passer en dessous du noeud. Évidemment, on ne se détache qu'après s'être assuré avec un jumar, mais l'opération donne tout de même des maux de tête dont on pourrait volontiers se passer.

Quand on y pense, rappeler avec un sac de 70lbs est une drôle d'idée. Il n'est pas possible de garder le sac sur son dos, le poids étant alors mal réparti. Il faut plutôt attacher le sac au pontet du harnais sur une sangle. Déjà que rappeler est une opération où survient de nombreux accidents, s'attacher un boulet pour le faire est marginal.

Je vous avoue que l'idée de juste crisser mon sac en bas m'est venue plusieurs fois à l'esprit. Je l'aurais fait si ce n'est que nous rencontrons toute sorte de gens qui montent au sommet par le même itinéraire, ce qui mettrait leur vie en danger.

Une chance que Jeff est encore là pour m'aider mentalement et physiquement. Je me sens vraiment comme une loque humaine. Je ne sais pas comment il fait pour m'endurer...probablement, et j'espère, que son cerveau émet une sorte de produit chimique qui bloque le son de ma voix parfois...


Quelques 7 heures après notre départ du sommet, une éternité dans ma tête, nous arrivons finalement au stationnement.

À notre arrivé, quelques touristes nous entourent et prennent un tas de photos en nous demandant: Did you just climb El Capitan?


Fuck yeah, we just did. Well...we tried at least. We reached the top.

Soyons plutôt humbles, mais positifs. Nous avons échoué dans l'accomplissement de notre objectif, mais nous sommes en vie et nous avons fait le plein d'apprentissages!!

J'agrippe le bac de vivres que nous avions laissé dans le compartiment anti-ours.

Enfin...à moi les chips, les biscuits, le chocolat, les femmes et la gloire. Humm on repassera pour les femmes et la gloire...

Et pendant tout ce temps, alors que nous avons l'air de 2 porcs qui s'empiffrent, j'essaye d'imaginer à quel point nous sentons mauvais et comment ces gens font pour ne pas vomir en se tenant aussi près de nous.

Et comme ça, notre aventure sur Freerider se termine.

Photo classique d'El Cap pis 2 tatas à l'ego surdégonflé