mercredi 11 janvier 2017

MONARQUE: 33 ans d'obscurité plus tard (chapitre 6)

Chapitre 6: Le topo

Monarque sur l'Acropole des Draveurs dans les Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie

Voici donc notre récit de Monarque terminé.

L'idée première derrière cet exercice était de partager notre aventure dans une voie alpine québécoise que je considère de "Testpiece" pour toutes sortes de raisons. D'abord, pour une raison obscure elle demeure méconnue et a vu très peu de trafic (2-3 cordées au maximum depuis son ouverture). Ensuite, elle a été gravie en libre dans un style exemplaire. Ensuite, bien qu'elle n'ait vu qu'une poignée d'ascensions en 33 ans d'existence, elle est étonnamment propre et le rocher y est généralement solide, à l'exclusion de la longueur du Monarque (2e longueur) qui devrait être purgée et celle du dièdre (3e longueur) qui pourrait facilement être nettoyée si d'autres grimpeurs s'y aventuraient davantage. Également, elle présente un dénivelé somme toute intéressant (environ 180m d'escalade technique) dans un décor de plus impressionnant. L'approche comporte quelques 400m de dénivelé dans un couloir à la fois intimidant et précaire. La voie commence à une altitude approximative de 800m d'altitude sur un promontoire exposé et la voie atteint le sommet (1000m et + d'altitude). Le gaz s'accumule rapidement en dessous des grimpeurs qui bénéficient de vues imprenables sur la vallée des Hautes-Gorges. Finalement, la descente à pieds, bien que longue, permet de retrouver l'auto sans les tracas de rappels qui peuvent s'avérer dangereux. Bref Monarque est, selon moi, un beau bijoux encore trop méconnu de l'escalade québécoise qui demeure accessible à beaucoup de grimpeurs qui veulent trouver un niveau d'engagement supérieur au Gros-Bonnet (Portneuf) sur du rocher de solidité nettement supérieure au Gros-Bras (Grands-Jardins). Ne vous laissez pas intimidez! Vivez au niveau de vos aspirations! Ci-dessous, je décris un topo plus détaillé pour ceux que ça intéresse. Pour les autres, on se voit DEWOR comme dirait mon ami Serge Alexandre Demers Giroux (Je vous invite d'ailleurs à visiter son site Internet http://dewor.ca/).


POUR LES PURISTES, CEUX QUI RECHERCHENT L'AVENTURE, LA VRAIE, VEUILLEZ ARRÊTER DE LIRE ICI. CEUX QUI DÉSIRENT OBTENIR PLUS D'INFORMATIONS PRÉCISES SUR LA VOIE, VOUS TROUVEREZ DAVANTAGE D'INFORMATIONS CI-DESSOUS. POUR D'AUTRES INFORMATIONS UTILES, JE VOUS RÉFÈRE AU BLOG (INCOMPLET) DE PATRICK BROUILLARD QUI VIT PRATIQUEMENT DANS LES HAUTES-GORGES DEPUIS LES DERNIÈRES ANNÉES AVEC CHARLES LACROIX (http://uneviedescalade.blogspot.ca/2015/12/les-hautes-gorges-de-la-riviere-malbaie.html).


MONARQUE 5.10+ 180m - 4 longueurs - Rack double standard jusqu'à #3 (BD), #4 peut être utile - une corde de 45m pourrait suffire étant donné la configuration zigzaguante de la voie. Tous les relais sont faits à l'aide de protections naturelles sur des vires.

Approche du Centre d'interprétation: Cette dernière dépend de la saison et du moment choisi:

i) Lorsque le parc n'est pas officiellement ouvert, il faut stationner son véhicule sous les lignes à haute tension juste avant l'entrée du Parc. Il faut ensuite rejoindre le Centre d'interprétation du Barrage (8km) soit à la marche, en vélo, ou par tout autre moyen qui ne possède pas de moteur à gaz (voir les règlements du parc).


ii) Lorsque le parc est officiellement ouvert, plusieurs options sont envisageables:

- en période de bas achalandage (voir horaire du Parc) vous pouvez vous rendre en voiture au stationnement du Camping du Pin Blanc sans frais (en semaine seulement);
- en période de fort achalandage, il faut utiliser la navette du Parc (l'horaire est plus ou moins intéressant);
- louer un emplacement au Camping du Pin Blanc et y dormir la veille de l'ascension (ce qui permet de stationner son véhicule pour la journée à cet endroit, lequel est situé à 1 km de marche du Centre d'interprétation du Barrage);
- payer pour le camping, mais n'utiliser que le stationnement (vous devez tout de même payer les frais d'entrée quotidien); ou
- demander à la SÉPAQ une autorisation spéciale (faut savoir licher des culs).
Approche de la voie: Prévoir entre 1h30 est 2h00 via le couloir évident qui atteint l'amphithéâtre principal de l'Acropole des Draveurs. Depuis le Centre d'interprétation du barrage, commencez le Sentier du Pieds des Sommets par le segment le plus au Sud (sens anti-horaire de la boucle du sentier). En commençant le sentier vous verrez des puits d'aération (tuyaux blancs) pour le champs d'épuration du Parc sur votre droite. Après environ 5 minutes de marche, le sentier montera de façon plus prononcée. Lorsque le sentier bifurque à gauche à pratiquement 90 degrés, continuez tout droit à travers le bois pour rejoindre le couloir. Si le sentier recommence à redescendre, vous êtes allés trop loin. Il n'y a pas de sentier défini, bien que des traces de passages antérieurs puissent être décelés (branche cassées, traces de pas, mousse aplatie), mais il suffit de monter en diagonale vers la droite pour croiser le couloir où la végétation dense disparaîtra peu à peu. Suivre le couloir, généralement mouillé, mousseux à souhait et instable. Le couloir comporte certains passages engageants (classe 4) et, bien que nous ne nous soyons pas encordés, la prudence est de mise. Suivre le couloir jusqu'à ce qu'il bifurque à gauche et devienne très abrupte, pratiquement au pieds des immenses parois. Une fois rendu à la paroi située du côté gauche de l'amphithéâtre, remontez la paroi vers la droite en manœuvrant de la meilleure façon possible sur les talus moussus en visant le dièdre ouvert sur la gauche situé à droite de la portion très orangée.

1ère longueur 5.10+ (40-45m): Débuter sur un promontoire très exposé (risque de chute de plus de 5m). Il est fortement recommandé que l'assureur se vache dans la fissure à mains coupée au couteau (#2 BD), verticale et très propre qui marque le départ de la voie (cachée derrière un buisson). Des mouvements très esthétiques sur du rocher très solide composent les premiers 8m jusqu'à une vire très spacieuse (En 1983, Louis Paré a installé un relais intermédiaire sur cette dernière juste à gauche du petit toit). Contourner le petit toit en traversant vers la droite (attention au feuillet dont la solidité semble extrêmement marginale) pour atteindre le bas d'un dièdre ouvert sur la gauche et dont le sommet est obstrué d'un arbuste d'environ 4 à 6 pieds de haut. **À ma connaissance ce dièdre n'a jamais été gravi, mais pourrait peut-être présenter une alternative plus facile que la fissure de la ligne originale**. Après quelques mouvements de pontage dans ce dernier, traverser à gauche pour rejoindre une fissure à poings qui devient soudainement hors-norme (crux technique). Il n'est pas nécessaire d'avoir de #5 ou de #6. Une fois le passage corsé passé, il faut demeurer vigilant puisqu'il reste plusieurs mètres d'escalade soutenue (crux d'enchainement). Une fois la section verticale terminée, rétablir sur une vire très spacieuse. Pour faire la version originale, ne pas s'engager dans le long dièdre ouvert, moussu et lousse qui se trouve à droite (pour des raisons inconnues, certaines cordées ont emprunté ce dièdre sale). Continuez plutôt tout droit sur une dalle de faible inclinaison sans protection apparente (sangles sur des buissons) et contourner un immense rocher pour atteindre une vire cachée par de la végétation, laquelle donne sur un passage étroit à droite (pratiquement une cheminée) et où il est possible de faire un relais sur la paroi de gauche (coinceurs de petite et moyenne taille).

2e longueur 5.8 (20-25m): Un passage précaire et technique dans le passage étroit permet d'atteindre une autre vire très spacieuse juste avant que le rocher tourne couleur orange et marron, couleurs qui rappelèrent à Gaétan Martineau le papillon Monarque, d'où le nom de la voie (un relais intermédiaire (optionnel) avait été fait sur cette vire lors de la première ascension). Utiliser une fissure à mains franche bifurquant en zigzag vers la droite. L'escalade dans cette section n'est pas particulièrement difficile, la protection y est par contre espacée dû à l'instabilité des blocs et la principale difficulté consiste à ne pas faire tomber ces derniers sur l'assureur. Poursuivre l'escalade engagée jusqu'à un rétablissement sur une petite vire de forme triangulaire et construire un relais (coinceurs de petite taille) juste en dessous d'un magnifique et esthétique dièdre aérien.

3e longueur 5.10a (35-40m): Suivre le dièdre évident et très aérien en utilisant la petite fissure à doigts pour protéger et en utilisant tout votre arsenal de grimpe technique (dulfer, coincements, pontage, pieds-mains, etc.). Avec un peu d'amour pour éradiquer les champignons séchés et purger les 2 ou 3 blocs instables qui s'y trouvent, ce dièdre serait assurément un classique. Après un rétablissement technique sur une dernière vire, continuez dans le bois et faire un relais sur un sapin ayant un diamètre suffisant.

4e longueur 5.7+ (20-30m): De votre relais dans le bois, allez en diagonale vers la gauche (si vous allez vers la droite vous risquez de tomber dans le grand dièdre lousse mentionné à la 1ère longueur) pour arriver à une paroi moussue qui semble facile à première vue. Détrompez-vous l'escalade est engagée, extrêmement moussue et l'utilisation de la corde est nécessaire. Un bon brossage ferait du bien! Sortir au sommet (ne pas faire attention aux nombreux touristes qui veulent absolument prendre une photo souvenir de vous) et rejoindre un mur de 3 mètres de haut où il est possible de faire un relais (coinceurs de moyenne taille) et manger des bleuets si la saison le permet.

Descente: Descendre le Sentier de l'Acropole des Draveurs (5km) (prévoir entre 1 et 2 heures). Rappeler pourrait être possible, mais n'est pas vraiment une option dans les conditions actuelles de la voie (présences de blocs lousses, absence de relais permanent, dégrimper le couloir d'approche pourrait s'avérer difficile, etc.). Je n'envisagerais cette solution qu'en cas d'extrême nécessité (blessures, malaise ou autres raisons impérieuses). Aucun équipement fixe en place (relais, sangles, etc.).

Mon talent limité en dessin à votre service



vendredi 6 janvier 2017

MONARQUE: 33 ans d'obscurité plus tard (Chapitre 5)

Chapitre cinq : L'envol

L'adrénaline libérée par la deuxième longueur achève de me dégeler et je demande à Steph s'il me laisserait sauver mon honneur. Bon joueur, il me cède le matériel.

Méthodiquement, je gravis les premiers mètres. Un peu de dulfer, de bons coincements de doigts, c'est fluide, naturel, presque instinctif! Fébrile, je surmonte quelques difficultés en tâchant d'éviter de drôles de rochers. Ils semblent instables, mais ironiquement je les reconnais pour les avoir vus sur les photos de Gaétan. Ils ont déjà subi le passage de trente ans, ça devrait tenir encore pour que je puisse passer. Marginalement, je pose un pied dessus: ça tient!

Au fur et à mesure que je m'imprègne de cette sensation de liberté que le rocher et la nature me transmettent à travers l'escalade, ma peur s'égraine au fil du vent. Tranquillement, les soucis de la vie me quittent. Je danse littéralement avec la paroi, je ne fais qu'un avec elle.

Perché à quelques neuf cents mètres d'altitude sur une petite vire située aux deux tiers de la longueur, je prends conscience des cinq cents mètres qui me séparent du plancher de la vallée. Tout en bas le barrage est minuscule. Me revient alors en tête la description que Gaétan faisait de ce passage :
Un très fort vent chaud remonte le long de la paroi et vient s'engouffrer par le bas de mes pantalons pour me faire frémir les poils de jambes et accentuer l'impression de vide. N'importe, la gomme de mes chaussons E.B. adhère bien sur les petites prises du rocher chaud et je peux monter avec confiance. Entre mes jambes, perché au mil[i]eu du vide, Louis m'assure avec attention. Des centaines et des centaines de mètres sous lui, la minuscule écluse obstrue la rivière Malbaie qui, si bas, ressemble à un mince fil perdu au fond d'un canyon. C'est une belle situation d'escalade qui m'envahit d'un grand plaisir.
C'est une réminiscence que je vis, même si je ne peux profiter de la chaleur du vent aujourd'hui. C'est difficile à décrire avec des mots. Quand on arrive à ne faire qu'un avec notre passion, qu'on en est complètement inhibé, ça devient tellement bon que ça ressemble parfois à un orgasme : sauvage, mais conscient...et plus ou moins contrôlé.

Bref, après un dernier passage vertical corsé, je bascule au sommet de cette longueur magnifique. Le seul point négatif que l'on peut lui attribué sont les champignons séchés et coriaces qui tapissent le dièdre. Un bon ménage ferait du bien! Ça sera malheureusement pour une prochaine fois.

Le rocher fait ensuite place à un boisé et je n'ai d'autre choix que de faire mon relais sur un sapin, hors d'atteinte des rayons du soleil, ce qui refroidit légèrement mes ardeurs!

Pendant que j'assure Steph, je jongle avec une petite roche de calcaire que j'ai ramassée en Alberta, au Mont Assiniboine, aventure qui m'a permis de rencontrer Gaétan.


Le Mont Assiniboine visible en arrière plan lors de mon périple en 2009. Je suivais alors pour la première fois les traces de Gaétan Martineau sur un terrain d'aventure incroyable! L'objectif était de gravir la face Nord en solo (côté droit de la pyramide). Mes Crocs verts me suivaient également dans cette aventure!!

À l'été 2009, alors que je rêvais déjà de suivre ses traces dans une ascension solitaire du Mont Assiniboine, comme il l'avait lui-même fait à l'été 1981, Gaétan m'invite chez lui pour discuter de ce projet et me montrer les photos de la montagne et les cartes de la région qu'il possède. Comme plusieurs autres jeunes grimpeurs de ma génération, j'ai alors la chance de rencontrer cette légende de l'escalade québécoise: un homme humble, passionné et déterminé. Un grimpeur pratiquement retraité du caillou, se consacrant désormais à sa famille et à d'autres passions, mais qui ne demande qu'à passer le flambeau à une nouvelle génération de grimpeurs ambitieux et résolus, remplis de rêves et de projets les plus fous les uns que les autres.


J'avais comme plan initial de creuser un trou pour y enfouir la petite roche, mais je me rends maintenant compte que ce souvenir m'est trop précieux. Je ne puis me résoudre à l'abandonner. Je remet donc la roche dans ma poche pour la ramener chez moi.

Stéphane me rejoint.

D'abord dubitatif sur la solidité de mon ancrage, un sapin de deux pouces et demi de diamètre, il m'apprend ensuite que ses orteils ont commencé à dégeler au début de la longueur. Alors que je roule la corde sur mes épaules, un sourire discret se forme sur mon visage voilé par l'ombre projetée des conifères qui nous entourent. Éphémère et furtif, il s'évanouit aussi rapidement que mon envie de lui rappeler que je l'avais prévenu. C'est que je comprends à sa physionomie qu'il souffre beaucoup plus qu'il ne le laisse entrevoir. Par expérience, je sais très bien que rien ne fait plus mal que des orteils ou des doigts qui dégèlent. Tout en étant sympathique à sa cause, je ne peux malheureusement rien y faire. 


Nous avançons donc dans la végétation en quête du sommet, mais alors que je pensais que nous pourrions rejoindre facilement ce dernier à partir de ce relais, je me rends rapidement compte que l'aventure n'est pas tout à fait terminée.


Un peu de bushwaking aléatoire nous mène à une autre longueur, bien moussue celle-là. Impossible de savoir si la première ascension a emprunté cet itinéraire. Aucune trace de passage n'est décelable. D'autres itinéraires pourraient vraisemblablement être possibles à droite et à gauche. Steph repart avec le rack. Il doit creuser la mousse pour découvrir le rocher, tellement l'envahissement est total. Cette longueur n'a rien d'intéressant du tout, peut-être sommes-nous perdus? Je ne vois pourtant pas de cairn...

Alors que j'essaye de ne pas glisser sur la mousse en second, j'aperçois Steph qui se fait bronzer au soleil, les jambes dans une talle de bleuets. Nous sommes enfin au plateau sommital, au milieu de plusieurs groupes de randonneurs ébahis. Quelques-uns s'approchent timidement:

- Vous avez grimpé toute la falaise?

- Heu, ouais.
- Wow, vous êtes qui?
Personne...vraiment.

Que peut-on ou doit-on répondre à l'enthousiasme des profanes de l'escalade? Je suis toujours mal à l'aise dans ces situations. J'ai l'impression qu'une fois que tout danger est écarté, qu'il ne nous reste qu'à redescendre par un sentier conçu pour que monsieur madame tout-le-monde puisse bénéficier du plein air et des grands espaces québécois, je n'éprouve que l'envie d'être seul dans ma tête pour ressasser les moments intenses que nous venons de vivre. Je ne peux m'empêcher d'être agacé de constituer le centre de l'attention de tout un chacun.


Tout ce que je veux, c'est de redescendre en surfant sur cette vague d'émotions qui, tranquillement, me quitte.


Les pieds de Stéphane refusent de dégeler. Son sac à dos est visible à côté de lui :p

Il ne nous reste maintenant qu'à redescendre le sentier de 6 km, mais à voir les rictus qui apparaissent à intervalles réguliers sur le visage de Stéphane, je sais que ce périple sera une aventure en soi pour mon ami!


Pendant que je ramasse notre matos, Stéphane frictionne ardemment ses pieds. Ces derniers refusent de dégeler complètement. De fait, son obstination à vouloir laisser ses souliers d'approche au bas de la paroi lui coûtera pratiquement deux ongles du pied gauche.

Steve House, un des grands alpinistes des temps modernes, soutient que plus on fait les choses simples, plus les expériences de la vie deviennent riches. Maintenant que je suis bien assis au chaud dans mon appartement, je me demande si Stéphane est vraiment sorti plus riche de cette expérience. Brièvement, je me demande si je ne suis pas passé à côté de quelque chose d'important lors de cette journée épique...mon questionnement est plutôt éphémère, je vous l'avoue! ;) 



Les ongles prêts à décoller de Stéphane quelques jours après l'ascension de Monarque.

FIN