dimanche 24 décembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 7)

Chapitre 7: Funstuff

4e journée sur El Capitan.

Pour la première fois, je sens que mes membres sont endoloris. Le rituel du matin est plus pénible, robotique, mais toujours le soleil brille dans le ciel bleu, ça s'annonce chaud! En préparant notre diner nous nous rendons compte qu'un rongeur a mangé une partie de nos tortillas. Malheur!

Cette pensée est rapidement chassée par la perspective d'une journée très intéressante: juste grimper et fixer des cordes au fur et à mesure de notre progression. Enfin le plaisir peut commencer!

Après s'être hissés au-dessus de la cheminée de la veille à l'aide de nos poignées d'ascension, Jeff se lance dans la première longueur de la journée.

Jeff progresse rapidement alors que je lui paye la corde à travers l'ATC.

Au-dessus de nous, le profil de la paroi se redresse drastiquement.

La première longueur est somme toute aisée, bien que je n'en aie aucun souvenir précis.

Enfin un vrai réchaud que l'on peut apprécier sans vraiment avoir besoin de se concentrer.

J'aime cet état d'esprit où l'on sait que l'on bouge, mais pendant lequel les mouvements sont posés, sentis et précis, exempt de peur ou d'hésitation, seulement guidés par l'instinct. C'est un sentiment similaire à celui où nous sommes près de notre limite, mais que l'on connait chaque petit mouvement du corps permettant d'enchainer une longueur; seulement c'est l'état de conscience qui est différent. C'est l'instinct et l'expérience opposés à la pratique.

La deuxième longueur est beaucoup plus soutenue. Une longueur parsemée de dulfers verticaux et de fissures à doigts. Je m'en sors tant bien que mal et bien que je ne sois pas à ma limite, l'exposition diminue mon aisance. J'apprécie néanmoins chaque moment passé à me batailler avec ma peur.

La peur est un boulet qu'il faut battre et dominer pour avancer, tant dans la vie qu'en escalade. J'aime tester ma résilience face à mes peurs, voir jusqu'où je peux me rendre sans perdre les pédales. Ça me fait me sentir vivant, en contrôle de ma destinée.

Jeff qui complète la 17e longueur 10c. Loin en-dessous nos haulbags sont visilbles sur Hollow Flake Ledges


La troisième longueur est singulière. Il s'agit de "The Ear", l'Oreille. Une section très verticale de fissure thinhand donne accès à un encaissement où un repos mitigé peut être obtenu. De cet endroit, il faut faire une traverse difficile vers la gauche sur des réglettes espacées. La présence d'un coin empêche de voir les prises et une mauvaise lecture est ici difficile à réparer, comme je l'apprendrai malheureusement (lire que je suis tombé). Un repos complet mène ensuite à l'Oreille, une cheminée incroyable qui se referme de plus en plus au fur et à mesure que l'on y grimpe. Sa particularité est que la cheminée se referme complètement à un certain point et que la solution pour en sortir consiste à traverser horizontalement un toit de quelques mètres. C'est incroyable d'avoir à traverser une cheminée, ça l'est encore plus quand on voit le fond de la vallée à 500m en dessous de nous! La vue est un mélange de rêve érotique qui donne envie de vomir. Drôle de mélange. La traverse s'effectue sur quelques bonnes prises sur lesquelles il est possible de se reposer, mais la seule vraie façon de progresser est d'avancer à coup d'"ailes de poulet" et de coincements de corps plus bizarres les uns que les autres. De la vraie bonne bataille de cheminée! Un vrai délice! La sortie de la longueur est incroyablement exposée sur du rocherbrun/orangé.

Photo trouvée sur le Web montrant le profil de notre 4e journée sur le mur

Arrive enfin le Monster Offwitdh. LA longueur que tout le monde rêve de faire! La raison pourquoi on fait Freerider. Ahah!

Jeff se lance dans la traverse 11d. Cette dernière suit une série de prises qui descendent tranquillement vers la gauche jusqu'à un point où elles disparaissent. La fissure doit alors être rejointe par un long mouvement d'étirement du bras gauche. La difficulté réside dans le fait qu'il n'y a pas de pieds, que de la friction. Jeff solutionne assez facilement la séquence et réussi à embarquer dans la fissure.
Jeff dans le Monstre après la traverse

Dingdingding, le combat commence.

Quelle bataille de Jeff dans cette fissure hors-largeur de six pouces d'une longueur de 50m!! Centimètre par centimètre, son progrès est extrêmement lent.

Jeff dans le premier tiers

Complètement épuisé physiquement, il tombe à quelques mètres de la fin des difficultés après une bataille de plus de deux heures trente au gros soleil. Déçu. son moral est au plus bas alors qu'il m'assure.

Jeff abattu par son échec dans le Monster Offwidth

Après avoir effectué un rappel pour éviter la traverse 11d dont le pendule potentiel en cas de chute m'intimidait trop, je m'élance dans le Monstre sous un soleil de plomb! L'attrape c'est que, vu le style d'escalade impliqué, constitué de contact très intime et intense avec le rocher, le grimpeur doit porter un gilet long pour protéger sa peau de l'abrasion du rocher. On a vite l'impression de nager en plein sauna, je vous l'assure!!

Ma stratégie est d'entrer dans la fissure à moitié, côté gauche à l'intérieur. Un verrou du bras gauche, main et coude appuyés sur les parois opposées de la fissure à hauteur d'épaule est utilisé comme base. La jambe gauche est montée à hauteur de la hanche talon et orteils exerçant une force opposée pour se maintenir en place. La main droite, pouce par en bas, est appuyée sur le rebord de la fissure devant mes yeux. La clé pour progresser, c'est le pied droit. Le talon doit être appuyé sur la paroi qui se trouve derrière, le côté gauche du pied appuyé sur le rebord extérieur arrondi de la fissure. Essentiellement, c'est le mouvement du mollet qui fait monter mon corps vers le haut, un ou deux pouces à la fois. Le reste de mon corps sert seulement à me maintenir en place.

Funstuff comme dirait Fred!

L'effort physique est constant, il faut donc bouger "rapidement" et établir un rythme pour contrebalancer la douleur et l'épuisement. On refait, encore et encore, les mêmes mouvements aliénants en se disant: "y'en reste pas long, y'en reste pas long!" Le problème c'est que 50m, c'est long! :) Quelques repos taxants physiquement, dont il faut tirer profit, sont rencontrés dans ce pèlerinage. Bien que le processus soit monotone du fait que les mouvements soient pratiquement identiques d'un bout à l'autre, j'ai rarement eu autant de plaisir à grimper une longueur d'escalade. Vraiment, mais vraiment un style que j'adore! Le genre de longueur où l'on peut juger de la résilience  et de la propension à souffrir de quelqu'un!

Victoire!!

Jeff fidèle à lui-même, et même s'il n'a pas réussi, est allé au bout de son potentiel. C'est l'épuisement qui a eu raison de lui.

Lorsque j'arrive au relais, il me dit: "Cette longueur-là, je ne la referai pas...même si je ne l'ai pas réussie".

Notre journée terminée, nous rappelons sur nos cordes fixes pour retourner dormir sur Hollow Flake Ledges.

16. Jeff - 5.10a - 32m - Assez facile.
17. Dan - 5.10c - 37m - Endurance, très beau.
18. Jeff - 5.10d - 27m - Traverse difficile sur réglettes. The Ear: cheminée malade!
19. Jeff - 5.11d - 50m - Très difficile traverse pour accéder au Monster Offwidth (11d). Ensuite 50m très physique (11a/b).

dimanche 3 décembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 6)

Chapitre 6: Durs labeurs

Troisième journée sur le mur.

Elle commence comme toutes les autres, sous le regard bienveillant des étoiles qui, loin dans le ciel, brillent de mille éclats.

Couché dans mon sac de couchage, je prolonge le plaisir d'un sommeil mitigé, passé à me tourner d'un côté et d'autre, en les regardant s'éteindre. Dormir sur un minuscule matelas de mousse de 1/4 de pouce d'épais est difficile, surtout lorsque l'on est habitué à dormir sur le côté droit. Le poids de notre corps paralyse tranquillement le bras et nous empêche de dormir d'un sommeil trivial. S'habituer à dormir sur le dos, m'apparait comme une bonne idée pour quiconque entreprend une aventure verticale de 1 000m.

Alors que je suis à mijoter ces réflexions, le ciel se teinte tranquillement de bleu: c'est l'heure de se lever.

De l'autre côté de la vire, Jeff est déjà en action. J'entends le brûleur se mettre en marche. L'odeur du café se fait rapidement sentir. Je ne me sens pas particulièrement courbaturé, ce qui est bien.

Tous les matins, nous opérons la même routine. Nous nous levons avec les premières lueurs du jour, vers 5h30. Une fois le premier service de café en route, nous nous préparons pour la dure journée de labeur qui nous attend. Diverses tâches sont nécessaires pour commencer la journée. Il faut notamment mettre nos verres de contact (désagréable), analyser le tracé de la journée (motivant!), réorganiser le matériel (tannant), déjeuner (jouissif), préparer le diner (boire le jus de canne de thon est de loin le meilleur moment de ma journée), remplir nos gourdes (NE PAS verser à côté des gourdes!!), replacer nos possessions dans les sacs de hissage (important de se souvenir où se trouve chaque objet)...et faire un caca (expérience mitigée).

Je vous épargne les détails croustillants de cette dernière étape, mais toujours est-il que les néophytes en big-wall doivent comprendre que nous ne pouvons pas abandonner nos excréments sur le mur. Déjà que nous jetons notre urine en bas (le plus loin possible de la voie), nous devons malheureusement trainer nos déchets solides avec nous. Comme nous mangeons très santé et que la demande en calorie est excessivement élevée, nous ne produisons pas beaucoup de déchets organiques, mais toujours est-il que cette étape de la journée n'est pas ma préférée. Peut-être qu'apporter une revue porno serait une bonne stratégie pour la prochaine fois? Bref, la stratégie est d'utiliser des sacs de poubelle et de les conserver dans un contenant de plastique baptisé "WallJohn" (on pourrait l'appeler Raymond ou Roger que ça changerait rien). Le WallJohn est ensuite attaché en dessous des sacs de hissage pour le restant de la journée et nous nous en tenons le plus éloigné qu'il est possible.

Une fois notre routine terminée, je fais l'ascension de la corde fixe jusqu'au premier ancrage. L'objectif de la journée est de hisser nos bagages jusqu'à Hollow Flake Ledge et de grimper le plus de longueurs par la suite.

À 7h30 je suis au relais, il fait déjà suffisamment chaud pour que je n'aie qu'un t-shirt sur le dos.

Commence notre labeur de hissage. Comme le profil des 3 longueurs que nous avions grimpées la veille n'est pas vertical et qu'il tend à se déplacer vers la gauche, le hissage est difficile. Les sacs s'accrochent au moindre obstacle et il faut parfois descendre en rappel pour les décoincer. Comme nos sacs pèsent environ 130lbs chacun, hisser est extrêmement difficile physiquement.

La procédure est la suivante: la seule poulie que nous avons est installée dans le relais. Nous y attachons un jumar pour empêcher la corde de redescendre avec le poids du sac. Nous attachons une dégaine avec un autre jumar sur notre boucle d'assurage. La technique de hissage est simple. Il faut monter ses pieds au niveau des ancrages et pousser (squat inversé) de toutes ses forces pour faire monter un sac de 2 ou 3 pouces. Recommencer cette procédure sur 40m et recommencer pour hisser le deuxième sac. Pour ma part, une traction est pratiquement équivalente à une répétition maximale. Mes pulsations sont accotées dans le tapis, mes blessures de poumons dues à mes nombreuses pneumonies me font souffrir. Avoir su, je me serais entraîné différemment et j'aurais fait beaucoup plus de deadlift :)

Alors que Jeff allait partir de HeartLedges, Nick arrive pour venir chercher les bagages que lui et Corey avaient préalablement hissés en vue de leur ascension (voir chapitre 3). Il confirme que Corey a la cheville cassée et qu'il n'est pas envisageable pour eux de faire leur ascension. Avant de repartir, pour nous remercier de les avoir aidés, il nous fait cadeau de 4 cannes de bières. Wouuuuhou! (c'est comme gagner à la lotterie!)

Alors que la journée avance nous remarquons que toutes les personnes qui se trouvaient dans Freerider redescendent au sol. Certains étaient montés pour aller essayer le crux de la voie, alors que d'autres rappelaient depuis le sommet pour déposer des vivres sur la paroi à des endroits stratégiques. Leur objectif est de grimper Freerider en moins de 24hres; ils désirent donc pré-placer eau et nourriture à l'avance pour réduire leur poids. Nous sommes impressionnés et avons bien hâte de les voir nous dépasser. Leur départ est prévu pour dans 2 jours nous disent-ils (voir le lien suivant: http://elcapreport.com/content/elcap-report-1012-101817).

Hisser nos sacs jusqu'à Hollow Flake Ledges (3 longueurs) prendra finalement toute la journée. 3 longueurs pour plus de 10 heures d'efforts!! La chaleur de cette journée fut accablante et l'effort éreintant. La soif m'accompagnait à chaque instant de la journée. À 10h j'avais déjà bu 2L des 3,5L que je pouvais boire pour la journée. De mémoire, je n'ai pas souvenir d'une journée de ma vie aussi difficile physiquement, à cuire au soleil, sauf peut-être lorsque je faisais le triathlon Ironman (3,8km nage, 180km vélo et 42,2km de course). 

Une fois installés sur Hollow Flake Ledge, nous décidons de grimper au moins une longueur: une cheminée 5.7.

Je décide, encore une fois, d'y aller en tête.

Les parois de la cheminée sont lisses et dépourvues de prises. Il faut progresser dans un style cheminée parfait. 5.7 mon cul...Je me débat pour avancer, un pouce à la fois. Ma seule protection est le #6 que je dois trainer avec moi. À 20m au-dessus de Jeff je n'ai toujours que mon #6 comme protection. À la moitié de la cheminée, le topo disait de sortir de la cheminée pour rejoindre de bonnes prises. Pour sortir de la cheminée je dois me déplacer de 2 ou 3 mètres sur ma gauche. J'ai peur de m'éloigner du #6 puisqu'en cas de chute il pivotera, ce qui le ferait tomber. Je continue donc dans la cheminée qui rapetisse pour devenir hors-largeur. Après une bonne bataille, je sors à l'ancrage, épuisé de ma journée. L'apprentissage se poursuit que je me dis.

Alors que j'assure Jeff, je regarde autour de moi. La vue, comme toujours, est magnifique. Au-dessus de moi, la paroi se redresse drastiquement pour devenir verticale. Le Monster Offwidth, notre prochain adversaire, nous attend, la gueule ouverte. J'en ai des nausées tellement cette longueur est impressionnante vu d'en dessous.

Pouvez-vous me voir dans la cheminée 5.7? Suivez les cordes. Loin au-dessus, le Monster offwidth attend la gueule ouverte.

Alors que je repense au hissage de la journée, des doutes surgissent dans mon esprit. Qu'est-ce que je fais ici? C'est ça grimper un big-wall? C'est plus un job que de l'escalade...Ces questions réveillent le côté combatif de moi-même et mon orgueil s'élève d'un cran. On verra bien qui rira le dernier.


Le coucher de soleil, grandiose comme toujours

15. Dan - 5.7 (cheminée) - 35m - Faire suivre le #6 jusqu'au milieu. Traverser vers l'extérieur (gauche) pour rejoindre de bonnes prises (épeurant et dangereux de déloger le #6 en cas de chute). Si vous continuez tout droit (comme moi), la cheminée devient hors-largeur (plus difficile, mais moins épeurant (un peu)).

dimanche 26 novembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 5)

Chapitre 5: Le Feuillet creux

La deuxième journée sur le mur est ponctuée par un obstacle particulier: le "Hollow Flake" une longueur que nous redoutions grandement.


Il faut comprendre que sur El Cap, ce n'est pas tant la difficulté d'une longueur, que l'exposition, la particularité des mouvements et l'état d'esprit dans lequel on l'aborde qui ont un impact. Rares sont les longueurs où la force brute permettra de palier à ces obstacles, plus mentaux que physiques. Une longueur qui semble facile "sur papier" peut facilement devenir une bataille désespérée ou, même, un cauchemar, et la clé du succès m'est rapidement apparue comme étant la confiance.
Confidence comes with practice. Doing. If you have skill, there is no hiding it. If you lack confidence, there is no faking it. -Steve House-
Je laisse donc Jeff vous raconter son expérience dans le Hollow Flake:

"C’est dans une atmosphère calme et fraîche que je me réveille le corps raidi par le hissage de la veille. Confiant, je tente de me dégourdir dans les premier pas d’une longueur ratée la veille. Sans être vraiment dure, elle comporte un mouvement de dalle très difficile, que la raideur matinale de mes articulations me permet cette fois de passer.

Dan s’occupe de nous placer en face du gros morceau, l’obstacle. Notre aventure pourrait s’arrêter là… Ça m’est déjà arrivé, il y a 19 ans, ce monstre m’a battu.

Je rejoins Dan sans être vraiment pressé, un mélange de stress et d’anxiété englu mes mouvements. 

Je suis pourtant descendu dans la Vallée confiant d’un été où je me suis réalisé sans précédent.

Mais si jamais je « choke »…, c’est possible, je me connais.

HOLLOW FLAKE, je me souviens de toi! J’ai peur! Peur d’avoir peur au mauvais moment, peur d’hésiter. J’imagine la chute et les souvenirs de la tentative précédente me paralysent. Ma confiance s’effondre.

Arrivé au relais, je ramasse les gros coinceurs d’une main incertaine, comme si elles allaient servir…

Sourd à tout ce que Dan me dit ou me raconte, je tente de rassembler tous les lambeaux de courage que je peux avoir, malgré les souvenirs terrifiants qui m'envahissent.

À la façon d’un condamné qui a accepté sa fin et qui marche droit vers l’échafaud, j'agrippe les prises de départ. En apparence calme et résigné, j’entame les 40m de dégrimpe en 11d. Tout d’abord large (2½’’) et déversante, la fissure que je descends en dulfer se referme graduellement. Malgré que le mur soit très lisse et la fissure froide presque humide, je suis très confortable. En bas, le mur est légèrement dalle et de grosses prises de pieds me permettent de tenir sans les mains. Après avoir solutionné la traverse vers le Hollow Flake proprement dit, j’en profite pour uriner.

Plus léger je serai, mieux ce sera.


Comme j’entame les premiers mètres, je réalise que je suis trop haut et que je devrai prendre les prises que je viens d'arroser…super...

Nous y voilà, la bête, gueule ouverte, est tout juste au-dessus de moi. Je prends seulement le temps de me sécher les mains et je m’élance dans le feuillet. Il ne faut pas réfléchir; plus vite je serai en haut, mieux ce sera. Surtout ne pas laisser le doute s’installer. Comme je suis à plus de 40m sous le relais d'où Dan m'assure, inutile de protéger, ça ne ferait que m'ajouter de la résistance. Je grimpe rapidement le rebord saillant, sans entrer derrière le feuillet.

Un amoncellement de blocs coincés à 5-6 mètres sous la hauteur du relais, m’offre un répit. Comme la fissure se dirige progressivement vers la gauche, je me retrouve, à cette hauteur, à une dizaine de mètres à gauche du relais de départ et de Dan. Une chute à cet endroit me ferait faire un immense pendule vers Dan où j'irais m'écraser dans le coin où j'ai dégrimpé. Je m’interroge sur la protection, sur la friction. Si je protège, le coude va-t-il poser problème? Comme c’est ma première protection, et peut-être le seul vrai bon, je protège solide.

Au-dessus, ça se corse. Le rebord du feuillet s’évase et devient plus vertical; je dois donc entrer dans la fissure pour progresser en mode cheminée pour quelques mètres. Je fais suivre un cam #6 un peu trop ouvert pour être vraiment confortable. Après cette courte section cheminée, le feuillet rétrécira à nouveau, m'obligeant à ressortir en dulfer: le crux. La tension revient.

Je suis seulement à quelques mètres de mon point de retraite d’il y a 19 ans.


Malgré tout ce temps, les souvenirs me reviennent limpides; ils me heurtent violemment. Je me revois sortir de la fissure pour partir en dulfer, regarder vers le bas et voir les 10m de corde sans protection (je n'avais pas de #6 à l’époque) et sentir tout à coup la sueur recouvrir mes mains. Le souvenir d'avoir l'impression que mes mains glissent est si vif et terrifiant! Je me souviens d'être là, 300m au-dessus du vide, avec un horrible sentiment de panique et de peur. Comprendre que je suis commis et que je vais surement prendre le vol (25m) et m’écraser sur la dalle. Je me souviens de tenter le tout pour le tout pour retourner dans la fissure d’un geste rapide, et surtout risqué, juste comme les mains allaient lâcher complètement. La descente avait été pénible, physiquement et mentalement; le goût de la défaite: amer.

Et je suis là de nouveau, au point où je dois sortir de la fissure pour partir en dulfer, l’estomac noué d’appréhensions, les mains moites. Le relais est 20m plus haut. Cette fois-ci je me permets le luxe de laisser un #6 derrière moi, bien qu'il soit trop ouvert pour dire qu’il est vraiment bon. Je sangle très long. Cette "protection" est ce qu’il me faut pour me convaincre de monter. Je respire profondément, lève les mains bien couvertes de craie, agrippe fermement le rebord, appuis fermement le pied droit contre la paroi et entame le dulfer tant redouté. Les premiers pas sont faciles, le contraste est fort avec mon souvenir. Je suis bien plus fort et confiant cette fois-ci. Me voilà bientôt en terrain nouveau, seulement quelques mètres plus haut et la fissure se transforme à nouveau: le rebord du feuillet devient large et la fissure tend vers la gauche de façon plus prononcée. À nouveau, il n'est plus possible de faire du dulfer et je dois retourner dans le feuillet pour y coincer mon épaule droite. Il me reste un peu plus de 15m à parcourir. À cet endroit, la fissure semble régulière et, malgré que le rebord du feuillet soit large, le terrain à venir semble plus facile. J'attrape le #5.5 que j'ai sur mon harnais en me disant que ça va bien aller. La confiance revient; le doux parfum de la réussite commence à se faire sentir.


Tabarnac!! Le #5.5 ne fait pas! Il est trop petit!

Aussitôt, l'air devient fétide. Mes mains deviennent moites. En panique, je m'empare de la seule protection plus large que nous avons: un bigbro. Ma position relativement confortable me permet de poser le tube aisément, si ce n’est le taponnage dû à la vis qui est coincée. Par chance, dans ce type de fissure, il est plus difficile de progresser que de rester en place. Une fois le bigbro solidement placé, sanglé haut et long, je peux recommencer à grimper. La protection créé  un coussin qui allège ma détresse mentale. Je sais toutefois que je me dois d'être rapide, me concentrer sur le relais, sur l’objectif; il n’est plus si loin. Je progresse, le terrain est plus facile, mais néanmoins très exigeant mentalement. Quelques mètres au-dessus du tube, je lance la corde à l’extérieur de la fissure. C'est que l'angle de la fissure est tel que la corde pourrait se coincer dans le #6 et le faire tomber; idem pour le tube. Au moindre mouvement la corde revient dans la fissure, rien à faire, la corde ne veut pas sortir!!

Misère...

Je réfléchis, j’analyse; si je tombe, comment la corde va-t-elle se placer? L’angle est-il suffisant pour déplacer les coinceurs?

Merde, rien de certain, le doute recommence à s’installer.

Je suis encore capable de dégrimper...

Honteux, je chasse aussitôt cette pensée. Mon corps est capable de faire le reste c’est certain…sauf si ma tête panique. Je serre les dents, mets de la craie et me concentre de nouveau sur le relais. Faire le vide et oublier tout le reste n’est pas aisé. Je ferme les yeux pour mieux me concentrer. De toute façon il n’y a pas de prises, voir est donc secondaire. Je progresse tranquillement ainsi, les yeux fermés, guidé seulement par les sensations de mon corps. Je pousse mes mains contre le feuillet en coinçant les genoux de sorte que je suis capable de glisser mon corps vers le haut avec les pieds, un pouce à la fois. Je n’ouvre les yeux qu’à l’occasion pour apercevoir, le temps d’une seconde, le relais se rapprocher. À chaque coup d'oeil, je sens l’excitation monter. Je suis fébrile, mais à 4-5 mètre du relais, je sens que je n’ai plus l’énergie suffisante pour retraiter.

Ayant dépassé le point de non retour, je décide de me lancer. Comme ma dernière protection est plusieurs mètres sous moi, la chute n’est dorénavant plus envisageable, même si elle demeure théoriquement possible. Je dois gérer l’effort et surtout ne pas paniquer. Après quelques bonnes respirations, mon esprit se calme. Je peux maintenant regarder en bas. C’est étourdissant, je suis tellement loin de ma dernière protection. Le combat est tellement mental; mon corps est submergé par un véritable cocktail de sensations. L'air fétide fait toutefois place au doux parfum de la Vallée. La bataille n’est pas terminée, mais je sais que j'en sortirai vainqueur. J'en ai la conviction profonde.

Les 4-5 mouvements suivants m’amènent à portée de main d’une vraie prise. Alors que je l’agrippe, toute la peur, l’anxiété, l’adrénaline, le doute s’évaporent et laissent place à un formidable sentiment de fierté et d’accomplissement. Je m’extirpe de la fissure aisément et rejoins le relais.

J'ai de la misère à le croire, mais j’ai réussi le Hollow Flake!

Installé au relais, je comprends que mon crux mental est maintenant derrière moi. J’ai hâte pour la suite! Me revient alors les paroles d’une chanson que j’écoute à l’entrainement : « …c’est à la fin que tu sais qui tu es…"


La fin runnout du Hollow Flake, ben facile en toprope

Bien que cette longueur ne soit cotée que 5.9R, Jeff me confia plus tard qu'il s'agit de l'une des longueurs les plus difficiles que ait grimpées dans sa longue carrière de grimpeur. La charge mentale qu'elle impose lui pesait énormément depuis tant d'années et ce fut une véritable délivrance pour lui de la réussir. Malgré toutes les expériences et les succès qu'il a eus par la suite, le Hollow Flake restait comme un cancer coincé dans son corps, presque insupportable. Pour moi, son récit montre à quel point la dimension mentale et intrinsèque qui différencie tant l'escalade sportive de l'escalade traditionnelle rend cette dernière si unique. Se dépasser physiquement est bien, mais repousser les barrières mentales qui nous empêchent de développer notre plein potentiel physique est tellement mieux. Évidemment il faut se garder une marge de manœuvre pour que l'expérience demeure sécuritaire, et ça, c'est l'expérience qui nous permet de façonner notre approche sur le rocher pour y parvenir. Parce que oui, il faut se dépasser, mais à quoi bon le faire, si, en cas d'échec, on doit y rester ou se blesser sérieusement?

Une fois nos lignes fixes installées, nous rappelons pour retourner dormir à Heartledges où un autre magnifique coucher de soleil nous attend.

12. (2e essai) Jeff - 5.11c - 46m - Exposé. Un mouvement très très dur et glissant!
13. Dan - 4th class (vraiment?) - 24m- Mouvement bizarre et précaire pour atteindre le relais.
14. Jeff - 5.11d (dégrimpe 25m) puis 5.9R (43m) - Mental d'acier requis. 1x#6 et #xBigbro#3, sinon Valley Giant? Attention mettre dégaine sur le relais de départ pour protéger le pendule du second (à nettoyer en rappel).

samedi 18 novembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 4)

Chapitre 4: Le poids de la réalité

Seul avec mes pensées au milieu de la nuit, j'ai de la difficulté à trouver le sommeil.

L'air sec de Crane Flat me fait saigner du nez sans arrêt. Mon sac de couchage se transforme rapidement en une marre visqueuse et je me retrouve à baigner dans un fleuve rougeâtre.

De son côté, Jeff dort apparemment d'un sommeil d'enfant.

Quelques heures plus tard, nous sommes en route pour El Capitan.

L'un des seuls points positifs de camper à Crane Flat est d'assister au lever du soleil, loin par delà la silhouette majestueuse d'Halfdome, alors que nous suivons la route sinueuse qui descend dans la Vallée. Un ciel toujours azur chaperonne chacun de nos pas. Le soleil illumine l'avenir devant nous, chassant de sa chaleur le gel que l'on aperçoit ici et là. Les sensations reviennent tranquillement dans le bout de mes doigts gelés.

Nous arrivons pour la seconde fois au pied d'El Cap. Les sacs de hissage (haulbags) sont pratiquement prêts, il ne reste que quelques items à placer. Nous emportons avec nous 2 sacs possédant un poids d'environ 130lbs chaque. La majorité du poids provient évidemment des 55 litres d'eau ainsi que du matériel d'escalade que nous emportons dans notre épopée. Nous avons environ 8 jours d'or bleu pour une ratio de 3,5L quotidiennement chacun. Nous avons de la nourriture déshydratée pour probablement 7 ou 8 jours également, peut-être un peu plus si nous nous serrons la ceinture. Une petite quantité de riz, du beurre de peanut et des barres Cliff complètent notre garde-manger. En termes de matériel d'escalade, nous avons notamment 5 cordes, 2 paires de jumars, 2 paires d'étrier, une poulie et un rack triple jusqu'au #3, deux #5, un #5.5, un #6 et un big bro vert (#3), une vingtaine de bicoins (nuts) ainsi qu'une vingtaine de dégaines.

Les sacs de hissages d'environ 130lbs chacun

La marche jusqu'à la paroi est un assez bon échauffement en elle-même bien qu'elle ne totalise une distance que d'un kilomètre environ. Tels des escargots, nous cheminons lentement, courbés sous le poids de nos charges respectives. Garder l'équilibre est un exercice d'abdominaux intéressant; tomber serait catastrophique puisque il est impossible de se relever seul, sans parler du risque de se tordre une cheville dans le processus...

Que dire de ma première expérience de hissage? C'est dur...très dur. Du moins est-ce difficile avec un système 1 pour 1. Pourquoi n'avons-nous pas utilisé un autre système de poulies? Je ne saurais vous dire ne connaissant rien aux subtilités du Bigwall. En fait, je dois avouer que pour ma première journée de corvée, je ne ferai que les 2 derniers hissages (sur 6).

L'objectif de la journée consistait surtout à me permettre de me familiariser avec la technique d'ascension avec les jumars afin de monter sur les cordes fixes. Pas aussi facile que ça en a l'air. Au cours du processus, je constate rapidement que je suis très content d'avoir apporté mes gants d'assurage en ce que mes jointures n'arrêtent pas de cogner contre le rocher. 



À toutes les longueurs, Jeff part en premier, installe le système et fait monter les sacs, 1 pouce à la fois. Le mur est assez lisse, moins que vertical en fait et hormis quelques petits toits, les obstacles ne font pas légion. Le processus est tout de même long. J'estime que les 6 longueurs de hissage nous ont pris 4-5 heures au total.

Arrivés à Heartledges, nous installons notre ligne de vie, laquelle nous permettra de nous déplacer tout en demeurant sécuritairement attachés au mur.

Nous décidons de grimper une longueur avant de terminer cette journée déjà bien remplie en apprentissage et en efforts physiques. Je me lance donc en tête. Une traverse initiale m'amène à un magnifique feuillet arrondi et doux pour la peau. Une deuxième traverse sous un petit toit m'installe devant un premier passage plus corsé où il faut contourner un bout de mur sans prise de mains. Le truc est d'étendre la jambe gauche le plus loin possible puis de tirer avec cette dernière. Un mouvement plutôt inusité qui, bien que pas très difficile, est impressionnant à exécuter à 250m du sol. Arrive ensuite le passage clé, lequel est protégé par une plaquette (merci mon Dieu). Les prises de pieds sont patinées, tellement que l'une d'elles est noircie et vitreuse. Une petite prise inversée permet de rétablir en équilibre sur un bi-doigt pas plus épais qu'une pièce de 10 cents.

Après être tombé 2 ou 3 fois, je décide d'utiliser ma protection pour progresser (Frenchfree). Les passages qui suivent sont magnifiques. Quelques mouvements délicats mènent à une dernière traverse protégée par de vieux pitons qui ont heureusement l'air solides. Les prises sont franches, mais petites. Un petit dièdre ponctue la fin de la longueur. Classique!

Une fois le relais installé, Jeff part en second. Les premiers mètres se passent bien, mais, arrivé au passage clé, il chute à quelques reprises lui aussi. Après avoir travaillé la séquence, il réussit à passer en libre. C'est la première fois que je vois Jeff tomber alors qu'il est en second. Impressionnant, mais c'est ça El Cap. Grimper 5.13, à vue, n'est malheureusement pas une garantie de réussite.

Pendant que Jeff travaille les mouvements je n'arrête pas de penser à Alex Honnold qui est passé là, sans corde, sans protection aucune. La réussite du mouvement clé n'est même pas liée à la force, mais plutôt à la capacité à se tenir en équilibre sur des prises glissantes et patinées. C'est très aléatoire en fait, et le pied pourra toujours, une fois sur 10, glisser. Ça m'apparait juste lunaire de s'aventurer dans ce type de mouvement sans protection...

Bref une grosse journée d'apprentissages qui se termine. Le stress diminue tranquillement, même si mon esprit conserve une certaine anxiété à s'aventurer plus haut sur la paroi. Plus haut nous serons, plus il sera difficile de redescendre...au moins la vue du couché de soleil aide à s'endormir.
Notre chambre d'hôtel, Heartledges

12. Dan - 5.11c 46m - Varié. Exposé. Un mouvement très très dur. Glissant!

mardi 24 octobre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 3)

Chapitre 3: Les premiers pas

Nous nous trouvons sous l'impressionnante silhouette d'El Capitan. Il est au plus 7h30. Un peu plus tard que ce que nous avions prévu, mais comme nous n'avons pas réussi à obtenir de site de camping à Camp 4 (camping où l'esprit mystique des anciens grimpeurs de Yosemite peut supposément être recueilli en bouteille), nous devions faire 45minutes de voiture depuis Crane Flat (un camping situé à près de 7 000 pieds d'altitude et 0 degré la nuit où l'esprit de l'escalade est complètement absent) pour nous rendre à la paroi.

L'air est frisquet; le ciel bleu cristallin. Le soleil n'est pas encore visible du fonds de la vallée. Seul le Dawn Wall est illuminé par ses rayons obliques.


La vue est certainement grandiose, à couper le souffle, mais j'ai de la difficulté à profiter du moment. L'angoisse d'avant spectacle s'empare de moi à chaque pas; j'ai l'esprit légèrement embrouillé. Jeff, lui, marche devant moi, l'air serein. C'est qu'il en a vu d'autres.

Serais-je à la hauteur? Vais-je être capable de partir en tête? Bah la longueur la plus dure est cotée 11b, rien là. Une main dans le dos. Attention pour ne pas péché par excès de confiance...

Je repasse dans ma tête l'objectif de la journée: grimper le Freeblast. 11 longueurs.

Il s'agit en fait du prémisse obligatoire de Freerider que plusieurs considèrent comme une classique en elle-même. Plusieurs la grimpe d'ailleurs comme une voie en elle-même, ce qui fait une assez bonne journée d'escalade. Aujourd'hui ne fait pas exception à la règle alors que nous apercevons une cordée de trois personnes juchée au relais de la 2e longueur.

Nous arrivons au pieds de la voie alors que le soleil touche le départ du Nose, légèrement plus à droite que celui de Freerider. Nous constatons qu'une 2e cordée est sur le point de s'élancer dans la première longueur.

Damn du traffic!

Ces grimpeurs semblent plutôt lents à se préparer, mais plutôt que de leur mettre de la pression, nous décidons de patienter en discutant de la stratégie, du matériel à apporter et des autres subtilités techniques. Nous convenons alors d'apporter une 2e corde de 60m pour pouvoir les joindre ensemble dans la dernière longueur qui consiste à dégrimper près de 60m jusqu'à Heart Ledges. Cette technique nous permettrait de dégrimper en moulinette tous les deux.

Le soleil se lève soudainement et ses rayons inondent littéralement la vallée. Baigné de lumière, Jeff brille carrément, un sourire accroché aux lèvres.


Arrive alors une autre cordée de grimpeurs expérimentés: Nick et Corey.

Pendant que je rumine mon angoisse, Jeff, Nick et Corey jasent des grimpes qu'ils ont fait par le passé dans la Vallée. À un certain moment, Corey dit quelque chose du genre:

- One time we were on the Regular Route on Halfdome and we were getting very cold. Luckily we found an old sleeping bag wedged in a crack at Sandy Ledge.

Et là Jeff qui fait une face surprise et intéressée:

- What? An old sleeping bag, green?

- Yes! You have seen it too?

- Me and my friend used it while we were waiting for some slow spanish parties that would not let us pass them.

Épisode irréel et très comique.

Arrive enfin le moment de débuter.

Débordant de doutes, je m'élance dans la 1ère longueur.

Un court dièdre facile mène à une traverse vers deux fissures parallèles. J'hésite sur la stratégie: monter le pied droit haut ou faire de l'adhérence. Le rocher a une texture vraiment patinée, insécure. Déjà que je ne suis pas très bon avec mes pieds!

Quelques pas précaires me permettent de me hisser en ligne avec les fissures. L'acide dans mes bras est beaucoup plus intense que j'aimerais, ce qui n'aide pas ma confiance. Arrivé à la fin de la première longueur, je décide de continuer directement dans la 2e, qui est beaucoup plus facile, afin de nous créer un petit coussin. Cette dernière offre de bons coincements, ce qui est nettement plus mon genre. Par contre, je manque de protections et dois les espacer plus que j'aimerais: le mental en prend un coup. Quelques mètres avant le relais Jeff me signale que j'ai épuisé  l'entièreté de la corde et qu'il doit commencer à grimper simultanément, ce qui est stressant puisque s'il chute, je serai tiré vers ma dernière protection, plusieurs mètres sous moi.

Grrrrrrr l'enchainement des deux longueurs totalise 67 mètres, mais nous avons pris la corde de 60 mètres...bravo mon champion!!

J'arrive tout de même au relais sain et sauf.

Tout un départ, ça donne le ton pour la suite!

Jeff me rejoint rapidement. Alors que nous échangeons le matériel, je constate que le vent est très fort. Un peu naïfs nous sommes partis légers et n'avons pas apporté de coupe vent.

Ça s'en vient épique notre affaire!

Jeff part dans la 3e longueur, une traverse précaire sous un toit. Les prises de mains et de pieds sont minuscules, mais Jeff est un as des placements de pieds. On voit immédiatement qu'il sait comment répartir son poids et positionner son corps du premier coup d'oeil. La confiance qui émane de lui est incroyable; il a une réelle foi en ses placements de pieds et ses mains ne lui servent qu'à maintenir son équilibre. Après avoir placé deux petites protections, il s'élance pour une prise au-dessus du toit, mais vise la mauvaise. J'attrape sa chute sans impact. Déçu, il revient rapidement au relais. Nous tirons la corde et hop le revoilà reparti. Il solutionne facilement le passage et disparait de ma vue.


En dessous de nous, Nick et Corey arrivent rapidement.

Jeff et moi avons de la difficulté à se parler dû à la force du vent. Je sens la pression s'accumuler en moi et je n'aime pas particulièrement cela. Je comprends que Jeff ne veut pas se faire doubler, mais il y a beaucoup d'éléments à assimiler pour moi, ce qui me stress.

Déconcentré, j'effectue un mauvais départ dans la traverse et ma séquence n'est pas optimale. Arrivé aux protections, je constate qu'elles sont très serrées et j'ai de la difficulté à les retirer. Une erreur dans mon jeu de pieds m'amène trop bas par rapport aux petites prises dans le toit et rapidement je suis emporté par la gravité alors que l'un de mes pieds glisse. Étant en second, je me retrouve à penduler sous le toit, loin de toutes prises. Pendant près de quarante minutes, j'essaye, sans succès, de remonter  à l'aide de prusics sur la corde. Cette aventure commence plutôt bizarrement et je n'aime pas particulièrement son déroulement jusqu'ici.

Tant bien que mal je regagne les prises et finis par rejoindre Jeff, qui repart aussitôt. Il fait si froid qu'il ne peut pas m'assurer à défaut de quoi il gèlerait. La longueur suivante est plus facile, mais je dois tout de même prendre à sec pour retirer une protections vraiment trop coincée.

Maudite marde!

Autre chose qui m'agace est que le Freeblast contient plusieurs prises qui sont en fait des cicatrices laissées par l'usage antérieur de pitons. Sans ces cicatrices, il serait extrêmement difficile, voire impossible, de grimper cette voie. Je considère un peu ces cicatrices comme de la triche, dénaturant la nature "classique" de cette voie. Bien que je comprenne qu'elles n'aient pas été faites dans le but de créer des prises, pour moi, elles sont un sacrilège, une aberration. Je les hais, point. Qui plus est, elles tordent mon index gauche toujours blessé de ma chute au début septembre.

Corey et Nick nous suivent toujours de très près de sorte que Jeff charge comme un véritable taureau. Aisément, il dispose des deux longueurs en dalle. Ces deux longueurs sont extrêmement patinées, difficiles à lire et il faut avoir une confiance complète en ses pieds, ce que je n'arrive pas à faire à ce moment étant trop peu accoutumé au granite de Yo. De plus, comme je suis le second désigné, je dois trainer la corde de 60m supplémentaire. Comme il n'y a pas de vire où la laisser reposer, son poids en entier me tire vers le sol ce qui rend mes mouvements pénibles.

Jeff de son côté fait des leads complètement hallucinants. Il est tellement dans son élément, qu'à un moment donné il se trompe de séquence et doit détricoter quelques mouvements dans le crux de la dalle, ce qui semble être de la magie. Malgré mes ennuis, je suis bien content pour lui.

Devant aller rapidement, je tire sur quelques dégaines plutôt que d'essayer de solutionner les passages. De toute façon le poids de la 2e corde me tire tellement que j'ai de la difficulté à bouger. Impossible de grimper en libre dans ces circonstances.

Alors que j'arrive au relais de la première longueur de dalle, je vois Corey qui fait une chute au rétablissement de la dalle. L'incident semble sans impact sur le coup et ce dernier fait quelques mouvements de Frenchfree (tirer sur des protections pour avancer) pour solutionner le crux.

Suite à cette chute, nous avons maintenant une petite avance d'une longueur. Jeff est maintenant bien chaud, de sorte que je peux enfin recommencer à grimper en tête. Quelques pas de pontage m'amène sous un toit bizarre. La fissure est légèrement mouillée, mais j'arrive quand même à faire les mouvements pour sortir et me rétablir. Je ne bouge pas très bien même si j'arrive à tirer mon épingle du jeu de mieux en mieux. J'ai l'impression d'être écrasé par l'ampleur du projet et la rapidité de son exécution. Clairement je ne suis pas capable de suivre la cadence de Jeff qui possède de meilleures aptitudes et surtout beaucoup plus d'expérience sur ce type de mur, ce type de rocher. Sans compter qu'il a déjà fait le Freeblast par le passé.

Après un relais suspendu, Jeff repart pour le Half Dollar, une longueur bizarre alliant technique de cheminée et dièdre fermé. Ce type d'escalade me convient vraiment davantage et j'ai vraiment du plaisir à la grimper.

Juste après le Half Dollar, alors qu'ils sont au relais en dessous de nous, Nick et Corey nous signalent qu'ils voudraient nous emprunter notre corde supplémentaire pour rappeler le Freeblast. À travers notre conversation décousue par la puissance du vent nous comprenons que Corey, en chutant, s'est foulé la cheville. Suite à l'épuisement des effets de l'adrénaline qui coulait dans ses veines, ce dernier n'arrive plus à mettre de poids sur sa cheville. Gentlemen, nous leur donnons la corde pour faciliter leur descente. Sécurité avant tout.

Asti juste au moment où la corde allait devenir utile! Karma +1

Suivent donc deux longueurs plus faciles qui nous mènent à Mammoth Ledges, une succession de vires spacieuses où il est possible de dormir.

Il ne reste donc plus qu'à dégrimper une longueur de 60m pour terminer notre journée. Comme nous venons de flinguer la 2e corde, l'un de nous deux doit donc dégrimper comme s'il était en premier de cordée. Jeff toujours en forme, s'offre pour y aller deuxième et assumer le risque de tomber.

Dégrimper une longueur est toujours un processus étrange en ce qu'il est difficile de lire les mouvements loin à l'avance. Ça devient pire quand il faut poser de façon sécuritaire des protections pour celui qui suivra. Il faut les mettre à des endroits où il sera aisé de les enlever et les poser à des intervalles assez réguliers pour éviter une grosse chute. Ajoutez à cela que le soleil se couchait rapidement derrière nous. En fait, lorsque j'atteignis Heart Ledges, il était complètement couché. Jeff doit donc dégrimper à la lumière de sa lampe frontale. Malgré quelques embuches, il se débrouilla excessivement bien et me rejoignit beaucoup plus rapidement que je ne l'aurais crû.


Suivent alors 6 rappels sur des cordes fixes qui nous ramènent au sol à 21h00. Nous pouvons enfin aller manger et dormir. Je suis exténué, mais content d'avoir survécu. Assurément pas le départ que j'espérais. Des doutes ressortiront de cette journée pénible pour le moral et l'orgueil.

La suite sera dure...

Résumé des longueurs:

1. Dan - 5.10c 46m - Dur réchaud!

2. Dan - 5.8 17m - Bons coincements de mains/poings.
3. Jeff - 5.11b  27m - Traverse difficile, ensuite facile. Chiant pour le second.
4. Jeff - 5.10c 30m - Multiples cicatrices de pitons.
5. Jeff - 5.11b 27m - Départ runnout, dalle très très dure. En solo, vraiment!?
6. Jeff - 5.11a 34m - Autre dalle dure. En solo vraiment!?
7. Dan - 5.9 34m - Drôle de mouvement au toit, exposé.
8. Jeff - 5.10b 37m - Cheminée avec rétablissement inhabituel.
9. Dan - 5.7 34m - 5.7, vraiment?
10. Jeff - 5.7 34m - Plus facile.
11. Jeff - 5.10a/b 58m - Moins difficile que ça a l'air. Attention aux roches lousses.

dimanche 15 octobre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 2)

Chapitre 2: L'éthique


"Getting to the top is nothing. The way you do it is everything."

- Royal Robbins-

Ces mots ont toujours eu un puissant effet sur moi et je me suis toujours laissé emporter par leur implication, autant dans ma vie personnelle que sur le rocher. Ils sont pour moi empreints d'une sagesse puissante dans laquelle je me suis toujours reconnu. Pour moi la vie, tant dans ses échecs que ses réussites, partielles ou complètes, passe avant-tout dans le respect des barèmes qu'on l'on s'impose à chaque jour. La confiance, l'honneur, la loyauté, le respect, de soi-même, des autres et des principes établis, ont toujours été supérieures à l'atteinte d'un objectif.

L'éthique est, en quelque sorte, la voix du coeur, celle qui défini le niveau de notre engagement envers quelque chose. C'est celle qui dicte les règles du jeu, la ligne de conduite à suivre. Elle teinte les efforts et la souffrance, la peur et les doutes qui peuplent nos vies et nos aventures. Elle nous donne vie. Comme elle met à nu les aspects les plus intrinsèques de nos personnalités, il vaut donc mieux d'être honnête avec soi-même, en toutes circonstances.

Je ne suis toutefois pas de ces puristes qui essayent d'arrimer le monde à leurs croyances, d'asservir les autres aux règles que je m'impose. Pour moi, l'éthique c'est de choisir ses propres règles et d'être honnête à leur égard.


Il convient donc de mentionner, d'emblée, les règles que Jeff et moi nous étions fixées pour grimper Freerider.

Le plan était tout d'abord de grimper le Freeblast, soit les onze premières longueurs de Freerider, en une seule journée.

Une fois sur Heart Ledges, six rappels (lignes fixes) permettent de retourner au sol, où nous avons dormi.

Après une journée de repos, utilisée à finaliser nos vivres et notre matériel, nous avons apporté nos haulbags en dessous des lignes fixes utilisées pour rappeler de Heartledges et nous avons entrepris d'hisser nos sacs jusqu'à Heartledges.



À partir de ce moment, l'objectif était de grimper les longueurs en libre jusqu'au sommet. Il n'était pas nécessaire pour nous que les longueurs soient grimpées en ordre. Si une longueur nous résistait, nous pourrions toujours y retourner plus tard, même après avoir grimpé plus haut.

Comme nous n'avions pas de portaledge, il fallait s'arranger pour dormir sur les vires naturellement disponibles sur la paroi. Il en existe plusieurs sur Freerider:


- Heartledges (pour 6-8 personnes, peut-être un peu plus);
- Hollow Flake ledge (2-3 personnes);
- Alcove (2 personnes);
- El Cap Spire (5-6 personnes);
- The Block (2-3 personnes); et
- Roundtable (2 personnes).

D'autres endroits moins commodes pourraient être utilisés pour bivouaquer en cas de besoin, mais le repos y serait marginal (position assise ou partiellement couchée).

Le coeur de notre stratégie était d'avoir avec nous 5 cordes, de sorte que nous pouvions fixer les longueurs après les avoir grimpées. Cette méthode permet de se déplacer rapidement entre les longueurs et les vires et, surtout, à ne pas avoir à hisser notre matériel entre l'ascension de longueurs, ce qui est extrêmement fatiguant. Cela permet également de redescendre travailler une longueur si nécessaire.

Bien que cette méthode puisse être assimilée à une tactique de siège (que je n'aime pas particulièrement) elle permet à deux travailleurs ayant peu de vacances dans la vie de maximiser les chances de réaliser notre projet. Elle a le désavantage de faire en sorte que nous devions trainer avec nous 5 cordes, ce qui est très lourd et encombrant. Il faut également mentionner que déterminer quelle corde permet de fixer quelle longueur devient souvent un projet d'ingénierie que Jeff a maitrisé en maitre. Seul je n'y serais jamais arrivé. Il faut être conscient de cette réalité lorsqu'on envisage utiliser cette technique.

Ces prémisses établies, le récit peut maintenant commencer.

jeudi 14 septembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 1)

Chapitre 1: Définir l'horizon


Jean-François Beaulieu m'a dit à plusieurs reprises au cours des dernières années à quel point il voudrait vraiment retourner à Yosemite. Son projet? Grimper El Capitan en libre avant son 40e anniversaire (en novembre 2017).

A priori je n'avais jamais vraiment considéré cette destination d'escalade. J'avais toutes sortes d'idées préconçues: c'est loin et coûteux, faut louer une auto, j'hais l'escalade artificielle (même si j'en ai jamais fait). Bref probablement que j'étais plus intimidé qu'autre chose.


C'est après mon voyage à Indian Creek ce printemps que la graine a réellement germé en moi. J'y avais affiché une forme assez étonnante pour les voies de fissure et je commençai à me dire que j'étais peut-être prêt, physiquement et mentalement, à aller me faire botter à Yosemite. Après tout Yosemite n'est-elle pas la mecque de l'escalade moderne? Là où cette discipline a réellement pris son envol en Amérique du Nord?

Après avoir abordé à quelques reprises le sujet avec Jeff au cours de l'été, nous avons décidé de considérer sérieusement le projet pour l'automne 2017. Au fil des mois, je remarquai que Jeff et moi avions une bonne saison 2017, pas nécessairement en grimpant ensemble, puisque nous avons plus ou moins eu d'occasion cette année, mais chacun de notre côté, à notre façon, nous avons eu, je pense, des développements intéressants. Disons que ça me donnait une certaine confiance. Ne restait qu'à arrimer le tout avec le travail, obtenir les permis des autorités concernées et s'entraîner en conséquence.

Demeurant tout de même réaliste sur mes capacités de suivre Jeff dans son projet, je me suis continuellement rappelé que j'y vais avant tout pour le supporter dans la réalisation de son objectif et prendre de l'expérience de bigwall en grimpant à ses côtés. Parce que grimper El Capitan en libre, c'est à dire en ayant recours à nos seules capacités physiques et techniques, les protections insérées dans le rocher ne servant que pour sauver nos vies en cas de chute, n'est pas une mince tâche.

De fait, la voie la plus facile pour réaliser cet objectif, tout en ayant une "vraie" expérience de bigwall sur El Cap, est Freerider (5.13a). Et c'est cette voie que nous allons tenter de compléter.

Freerider est en fait une variation du Salathé Wall, évitant 2 longueurs cotées 5.13b/c demandant des aptitudes exceptionnelles de fissures et de body english (de fait ces 2 longueurs n'ont été enchaînées que par une poignée de gens dans le monde actuellement).

Quand je dis que Freerider est la voie la plus facile pour grimper El Capitan, c'est vite dit. Freerider, en plus d'être cotée 5.13a, comporte environ 1 000 m d'ascension verticale (environ 35 longueurs). Outre le fait que l'on doive y dormir plusieurs nuits, elle nécessite une maîtrise de toute une panoplie de styles d'escalade, de la fissure à doigts en passant par des redoutables fissures hors-largeur jusqu'à des cheminées exposées et intimidantes. Si on en croit ce que Jeff me raconte, les fissures c'est la partie facile! Encore faut-il surmonter les faces lisses clairsemées de minuscules petites croutes coupantes et des dalles dépourvues de prises qu'il faut grimper en s'agrippant à des cristaux pratiquement invisibles à l'oeil nu, sans oublier les nombreux dièdres où des dulfers très pompants nous attendent. Bref, il faut être un grimpeur très complet et très solide pour avoir une chance de grimper chacune de ses longueurs en libre.

Pour une idée du topo: http://gripped.com/wp-content/uploads/2014/10/topo.png

Mon autre inspiration d'aller faire cette voie est l'ascension que Stéphane Perron a faite en solo encordé en 2007 (https://www.climbing.com/news/all-free-rope-solo-of-el-capitan/). Chaque longueur sera pour moi l'occasion de jauger l'ampleur de l'exploit accompli par mon ami et mentor qui a leadé chaque pitch, l'a nettoyé puis a dû regrimper la longueur sur des poignées d'ascension pour ensuite hisser ses haulbags. Même de mon salon ça m'apparait complètement débile!

Il reste 7 jours avant le départ. L'objectif est là, visible à l'horizon. Il s'agit de ne pas trop anticiper, laisser couler le stress, vivre à fond. On espère pouvoir donner des nouvelles et peut-être même des vidéos live du mur à la Tommy Caldwell. Restez branchés!!





mercredi 11 janvier 2017

MONARQUE: 33 ans d'obscurité plus tard (chapitre 6)

Chapitre 6: Le topo

Monarque sur l'Acropole des Draveurs dans les Hautes-Gorges-de-la-Rivière-Malbaie

Voici donc notre récit de Monarque terminé.

L'idée première derrière cet exercice était de partager notre aventure dans une voie alpine québécoise que je considère de "Testpiece" pour toutes sortes de raisons. D'abord, pour une raison obscure elle demeure méconnue et a vu très peu de trafic (2-3 cordées au maximum depuis son ouverture). Ensuite, elle a été gravie en libre dans un style exemplaire. Ensuite, bien qu'elle n'ait vu qu'une poignée d'ascensions en 33 ans d'existence, elle est étonnamment propre et le rocher y est généralement solide, à l'exclusion de la longueur du Monarque (2e longueur) qui devrait être purgée et celle du dièdre (3e longueur) qui pourrait facilement être nettoyée si d'autres grimpeurs s'y aventuraient davantage. Également, elle présente un dénivelé somme toute intéressant (environ 180m d'escalade technique) dans un décor de plus impressionnant. L'approche comporte quelques 400m de dénivelé dans un couloir à la fois intimidant et précaire. La voie commence à une altitude approximative de 800m d'altitude sur un promontoire exposé et la voie atteint le sommet (1000m et + d'altitude). Le gaz s'accumule rapidement en dessous des grimpeurs qui bénéficient de vues imprenables sur la vallée des Hautes-Gorges. Finalement, la descente à pieds, bien que longue, permet de retrouver l'auto sans les tracas de rappels qui peuvent s'avérer dangereux. Bref Monarque est, selon moi, un beau bijoux encore trop méconnu de l'escalade québécoise qui demeure accessible à beaucoup de grimpeurs qui veulent trouver un niveau d'engagement supérieur au Gros-Bonnet (Portneuf) sur du rocher de solidité nettement supérieure au Gros-Bras (Grands-Jardins). Ne vous laissez pas intimidez! Vivez au niveau de vos aspirations! Ci-dessous, je décris un topo plus détaillé pour ceux que ça intéresse. Pour les autres, on se voit DEWOR comme dirait mon ami Serge Alexandre Demers Giroux (Je vous invite d'ailleurs à visiter son site Internet http://dewor.ca/).


POUR LES PURISTES, CEUX QUI RECHERCHENT L'AVENTURE, LA VRAIE, VEUILLEZ ARRÊTER DE LIRE ICI. CEUX QUI DÉSIRENT OBTENIR PLUS D'INFORMATIONS PRÉCISES SUR LA VOIE, VOUS TROUVEREZ DAVANTAGE D'INFORMATIONS CI-DESSOUS. POUR D'AUTRES INFORMATIONS UTILES, JE VOUS RÉFÈRE AU BLOG (INCOMPLET) DE PATRICK BROUILLARD QUI VIT PRATIQUEMENT DANS LES HAUTES-GORGES DEPUIS LES DERNIÈRES ANNÉES AVEC CHARLES LACROIX (http://uneviedescalade.blogspot.ca/2015/12/les-hautes-gorges-de-la-riviere-malbaie.html).


MONARQUE 5.10+ 180m - 4 longueurs - Rack double standard jusqu'à #3 (BD), #4 peut être utile - une corde de 45m pourrait suffire étant donné la configuration zigzaguante de la voie. Tous les relais sont faits à l'aide de protections naturelles sur des vires.

Approche du Centre d'interprétation: Cette dernière dépend de la saison et du moment choisi:

i) Lorsque le parc n'est pas officiellement ouvert, il faut stationner son véhicule sous les lignes à haute tension juste avant l'entrée du Parc. Il faut ensuite rejoindre le Centre d'interprétation du Barrage (8km) soit à la marche, en vélo, ou par tout autre moyen qui ne possède pas de moteur à gaz (voir les règlements du parc).


ii) Lorsque le parc est officiellement ouvert, plusieurs options sont envisageables:

- en période de bas achalandage (voir horaire du Parc) vous pouvez vous rendre en voiture au stationnement du Camping du Pin Blanc sans frais (en semaine seulement);
- en période de fort achalandage, il faut utiliser la navette du Parc (l'horaire est plus ou moins intéressant);
- louer un emplacement au Camping du Pin Blanc et y dormir la veille de l'ascension (ce qui permet de stationner son véhicule pour la journée à cet endroit, lequel est situé à 1 km de marche du Centre d'interprétation du Barrage);
- payer pour le camping, mais n'utiliser que le stationnement (vous devez tout de même payer les frais d'entrée quotidien); ou
- demander à la SÉPAQ une autorisation spéciale (faut savoir licher des culs).
Approche de la voie: Prévoir entre 1h30 est 2h00 via le couloir évident qui atteint l'amphithéâtre principal de l'Acropole des Draveurs. Depuis le Centre d'interprétation du barrage, commencez le Sentier du Pieds des Sommets par le segment le plus au Sud (sens anti-horaire de la boucle du sentier). En commençant le sentier vous verrez des puits d'aération (tuyaux blancs) pour le champs d'épuration du Parc sur votre droite. Après environ 5 minutes de marche, le sentier montera de façon plus prononcée. Lorsque le sentier bifurque à gauche à pratiquement 90 degrés, continuez tout droit à travers le bois pour rejoindre le couloir. Si le sentier recommence à redescendre, vous êtes allés trop loin. Il n'y a pas de sentier défini, bien que des traces de passages antérieurs puissent être décelés (branche cassées, traces de pas, mousse aplatie), mais il suffit de monter en diagonale vers la droite pour croiser le couloir où la végétation dense disparaîtra peu à peu. Suivre le couloir, généralement mouillé, mousseux à souhait et instable. Le couloir comporte certains passages engageants (classe 4) et, bien que nous ne nous soyons pas encordés, la prudence est de mise. Suivre le couloir jusqu'à ce qu'il bifurque à gauche et devienne très abrupte, pratiquement au pieds des immenses parois. Une fois rendu à la paroi située du côté gauche de l'amphithéâtre, remontez la paroi vers la droite en manœuvrant de la meilleure façon possible sur les talus moussus en visant le dièdre ouvert sur la gauche situé à droite de la portion très orangée.

1ère longueur 5.10+ (40-45m): Débuter sur un promontoire très exposé (risque de chute de plus de 5m). Il est fortement recommandé que l'assureur se vache dans la fissure à mains coupée au couteau (#2 BD), verticale et très propre qui marque le départ de la voie (cachée derrière un buisson). Des mouvements très esthétiques sur du rocher très solide composent les premiers 8m jusqu'à une vire très spacieuse (En 1983, Louis Paré a installé un relais intermédiaire sur cette dernière juste à gauche du petit toit). Contourner le petit toit en traversant vers la droite (attention au feuillet dont la solidité semble extrêmement marginale) pour atteindre le bas d'un dièdre ouvert sur la gauche et dont le sommet est obstrué d'un arbuste d'environ 4 à 6 pieds de haut. **À ma connaissance ce dièdre n'a jamais été gravi, mais pourrait peut-être présenter une alternative plus facile que la fissure de la ligne originale**. Après quelques mouvements de pontage dans ce dernier, traverser à gauche pour rejoindre une fissure à poings qui devient soudainement hors-norme (crux technique). Il n'est pas nécessaire d'avoir de #5 ou de #6. Une fois le passage corsé passé, il faut demeurer vigilant puisqu'il reste plusieurs mètres d'escalade soutenue (crux d'enchainement). Une fois la section verticale terminée, rétablir sur une vire très spacieuse. Pour faire la version originale, ne pas s'engager dans le long dièdre ouvert, moussu et lousse qui se trouve à droite (pour des raisons inconnues, certaines cordées ont emprunté ce dièdre sale). Continuez plutôt tout droit sur une dalle de faible inclinaison sans protection apparente (sangles sur des buissons) et contourner un immense rocher pour atteindre une vire cachée par de la végétation, laquelle donne sur un passage étroit à droite (pratiquement une cheminée) et où il est possible de faire un relais sur la paroi de gauche (coinceurs de petite et moyenne taille).

2e longueur 5.8 (20-25m): Un passage précaire et technique dans le passage étroit permet d'atteindre une autre vire très spacieuse juste avant que le rocher tourne couleur orange et marron, couleurs qui rappelèrent à Gaétan Martineau le papillon Monarque, d'où le nom de la voie (un relais intermédiaire (optionnel) avait été fait sur cette vire lors de la première ascension). Utiliser une fissure à mains franche bifurquant en zigzag vers la droite. L'escalade dans cette section n'est pas particulièrement difficile, la protection y est par contre espacée dû à l'instabilité des blocs et la principale difficulté consiste à ne pas faire tomber ces derniers sur l'assureur. Poursuivre l'escalade engagée jusqu'à un rétablissement sur une petite vire de forme triangulaire et construire un relais (coinceurs de petite taille) juste en dessous d'un magnifique et esthétique dièdre aérien.

3e longueur 5.10a (35-40m): Suivre le dièdre évident et très aérien en utilisant la petite fissure à doigts pour protéger et en utilisant tout votre arsenal de grimpe technique (dulfer, coincements, pontage, pieds-mains, etc.). Avec un peu d'amour pour éradiquer les champignons séchés et purger les 2 ou 3 blocs instables qui s'y trouvent, ce dièdre serait assurément un classique. Après un rétablissement technique sur une dernière vire, continuez dans le bois et faire un relais sur un sapin ayant un diamètre suffisant.

4e longueur 5.7+ (20-30m): De votre relais dans le bois, allez en diagonale vers la gauche (si vous allez vers la droite vous risquez de tomber dans le grand dièdre lousse mentionné à la 1ère longueur) pour arriver à une paroi moussue qui semble facile à première vue. Détrompez-vous l'escalade est engagée, extrêmement moussue et l'utilisation de la corde est nécessaire. Un bon brossage ferait du bien! Sortir au sommet (ne pas faire attention aux nombreux touristes qui veulent absolument prendre une photo souvenir de vous) et rejoindre un mur de 3 mètres de haut où il est possible de faire un relais (coinceurs de moyenne taille) et manger des bleuets si la saison le permet.

Descente: Descendre le Sentier de l'Acropole des Draveurs (5km) (prévoir entre 1 et 2 heures). Rappeler pourrait être possible, mais n'est pas vraiment une option dans les conditions actuelles de la voie (présences de blocs lousses, absence de relais permanent, dégrimper le couloir d'approche pourrait s'avérer difficile, etc.). Je n'envisagerais cette solution qu'en cas d'extrême nécessité (blessures, malaise ou autres raisons impérieuses). Aucun équipement fixe en place (relais, sangles, etc.).

Mon talent limité en dessin à votre service