dimanche 3 décembre 2017

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 6)

Chapitre 6: Durs labeurs

Troisième journée sur le mur.

Elle commence comme toutes les autres, sous le regard bienveillant des étoiles qui, loin dans le ciel, brillent de mille éclats.

Couché dans mon sac de couchage, je prolonge le plaisir d'un sommeil mitigé, passé à me tourner d'un côté et d'autre, en les regardant s'éteindre. Dormir sur un minuscule matelas de mousse de 1/4 de pouce d'épais est difficile, surtout lorsque l'on est habitué à dormir sur le côté droit. Le poids de notre corps paralyse tranquillement le bras et nous empêche de dormir d'un sommeil trivial. S'habituer à dormir sur le dos, m'apparait comme une bonne idée pour quiconque entreprend une aventure verticale de 1 000m.

Alors que je suis à mijoter ces réflexions, le ciel se teinte tranquillement de bleu: c'est l'heure de se lever.

De l'autre côté de la vire, Jeff est déjà en action. J'entends le brûleur se mettre en marche. L'odeur du café se fait rapidement sentir. Je ne me sens pas particulièrement courbaturé, ce qui est bien.

Tous les matins, nous opérons la même routine. Nous nous levons avec les premières lueurs du jour, vers 5h30. Une fois le premier service de café en route, nous nous préparons pour la dure journée de labeur qui nous attend. Diverses tâches sont nécessaires pour commencer la journée. Il faut notamment mettre nos verres de contact (désagréable), analyser le tracé de la journée (motivant!), réorganiser le matériel (tannant), déjeuner (jouissif), préparer le diner (boire le jus de canne de thon est de loin le meilleur moment de ma journée), remplir nos gourdes (NE PAS verser à côté des gourdes!!), replacer nos possessions dans les sacs de hissage (important de se souvenir où se trouve chaque objet)...et faire un caca (expérience mitigée).

Je vous épargne les détails croustillants de cette dernière étape, mais toujours est-il que les néophytes en big-wall doivent comprendre que nous ne pouvons pas abandonner nos excréments sur le mur. Déjà que nous jetons notre urine en bas (le plus loin possible de la voie), nous devons malheureusement trainer nos déchets solides avec nous. Comme nous mangeons très santé et que la demande en calorie est excessivement élevée, nous ne produisons pas beaucoup de déchets organiques, mais toujours est-il que cette étape de la journée n'est pas ma préférée. Peut-être qu'apporter une revue porno serait une bonne stratégie pour la prochaine fois? Bref, la stratégie est d'utiliser des sacs de poubelle et de les conserver dans un contenant de plastique baptisé "WallJohn" (on pourrait l'appeler Raymond ou Roger que ça changerait rien). Le WallJohn est ensuite attaché en dessous des sacs de hissage pour le restant de la journée et nous nous en tenons le plus éloigné qu'il est possible.

Une fois notre routine terminée, je fais l'ascension de la corde fixe jusqu'au premier ancrage. L'objectif de la journée est de hisser nos bagages jusqu'à Hollow Flake Ledge et de grimper le plus de longueurs par la suite.

À 7h30 je suis au relais, il fait déjà suffisamment chaud pour que je n'aie qu'un t-shirt sur le dos.

Commence notre labeur de hissage. Comme le profil des 3 longueurs que nous avions grimpées la veille n'est pas vertical et qu'il tend à se déplacer vers la gauche, le hissage est difficile. Les sacs s'accrochent au moindre obstacle et il faut parfois descendre en rappel pour les décoincer. Comme nos sacs pèsent environ 130lbs chacun, hisser est extrêmement difficile physiquement.

La procédure est la suivante: la seule poulie que nous avons est installée dans le relais. Nous y attachons un jumar pour empêcher la corde de redescendre avec le poids du sac. Nous attachons une dégaine avec un autre jumar sur notre boucle d'assurage. La technique de hissage est simple. Il faut monter ses pieds au niveau des ancrages et pousser (squat inversé) de toutes ses forces pour faire monter un sac de 2 ou 3 pouces. Recommencer cette procédure sur 40m et recommencer pour hisser le deuxième sac. Pour ma part, une traction est pratiquement équivalente à une répétition maximale. Mes pulsations sont accotées dans le tapis, mes blessures de poumons dues à mes nombreuses pneumonies me font souffrir. Avoir su, je me serais entraîné différemment et j'aurais fait beaucoup plus de deadlift :)

Alors que Jeff allait partir de HeartLedges, Nick arrive pour venir chercher les bagages que lui et Corey avaient préalablement hissés en vue de leur ascension (voir chapitre 3). Il confirme que Corey a la cheville cassée et qu'il n'est pas envisageable pour eux de faire leur ascension. Avant de repartir, pour nous remercier de les avoir aidés, il nous fait cadeau de 4 cannes de bières. Wouuuuhou! (c'est comme gagner à la lotterie!)

Alors que la journée avance nous remarquons que toutes les personnes qui se trouvaient dans Freerider redescendent au sol. Certains étaient montés pour aller essayer le crux de la voie, alors que d'autres rappelaient depuis le sommet pour déposer des vivres sur la paroi à des endroits stratégiques. Leur objectif est de grimper Freerider en moins de 24hres; ils désirent donc pré-placer eau et nourriture à l'avance pour réduire leur poids. Nous sommes impressionnés et avons bien hâte de les voir nous dépasser. Leur départ est prévu pour dans 2 jours nous disent-ils (voir le lien suivant: http://elcapreport.com/content/elcap-report-1012-101817).

Hisser nos sacs jusqu'à Hollow Flake Ledges (3 longueurs) prendra finalement toute la journée. 3 longueurs pour plus de 10 heures d'efforts!! La chaleur de cette journée fut accablante et l'effort éreintant. La soif m'accompagnait à chaque instant de la journée. À 10h j'avais déjà bu 2L des 3,5L que je pouvais boire pour la journée. De mémoire, je n'ai pas souvenir d'une journée de ma vie aussi difficile physiquement, à cuire au soleil, sauf peut-être lorsque je faisais le triathlon Ironman (3,8km nage, 180km vélo et 42,2km de course). 

Une fois installés sur Hollow Flake Ledge, nous décidons de grimper au moins une longueur: une cheminée 5.7.

Je décide, encore une fois, d'y aller en tête.

Les parois de la cheminée sont lisses et dépourvues de prises. Il faut progresser dans un style cheminée parfait. 5.7 mon cul...Je me débat pour avancer, un pouce à la fois. Ma seule protection est le #6 que je dois trainer avec moi. À 20m au-dessus de Jeff je n'ai toujours que mon #6 comme protection. À la moitié de la cheminée, le topo disait de sortir de la cheminée pour rejoindre de bonnes prises. Pour sortir de la cheminée je dois me déplacer de 2 ou 3 mètres sur ma gauche. J'ai peur de m'éloigner du #6 puisqu'en cas de chute il pivotera, ce qui le ferait tomber. Je continue donc dans la cheminée qui rapetisse pour devenir hors-largeur. Après une bonne bataille, je sors à l'ancrage, épuisé de ma journée. L'apprentissage se poursuit que je me dis.

Alors que j'assure Jeff, je regarde autour de moi. La vue, comme toujours, est magnifique. Au-dessus de moi, la paroi se redresse drastiquement pour devenir verticale. Le Monster Offwidth, notre prochain adversaire, nous attend, la gueule ouverte. J'en ai des nausées tellement cette longueur est impressionnante vu d'en dessous.

Pouvez-vous me voir dans la cheminée 5.7? Suivez les cordes. Loin au-dessus, le Monster offwidth attend la gueule ouverte.

Alors que je repense au hissage de la journée, des doutes surgissent dans mon esprit. Qu'est-ce que je fais ici? C'est ça grimper un big-wall? C'est plus un job que de l'escalade...Ces questions réveillent le côté combatif de moi-même et mon orgueil s'élève d'un cran. On verra bien qui rira le dernier.


Le coucher de soleil, grandiose comme toujours

15. Dan - 5.7 (cheminée) - 35m - Faire suivre le #6 jusqu'au milieu. Traverser vers l'extérieur (gauche) pour rejoindre de bonnes prises (épeurant et dangereux de déloger le #6 en cas de chute). Si vous continuez tout droit (comme moi), la cheminée devient hors-largeur (plus difficile, mais moins épeurant (un peu)).

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