samedi 24 février 2018

YOSEMITE: UN NOUVEL HORIZON (chapitre 12)

Chapitre 12: Le début de la fin

9e journée consécutive sur le mur.

Ça sent le sommet. À plein nez même.

J'ai comme des frissons, j'ai constamment envie de pisser, j'ai la bougeotte.

On sort d'icite!!

Non pas que l'expérience est plate, ou que je suis tanné de grimper ce magnifique granite, mais avez-vous déjà porté le même linge pendant neuf jours consécutifs? L'avez-vous déjà essayé en camping, alors que vous vous démenez toute la journée en suant à grosses gouttes et qu'il ne vous est pas possible de vous tremper dans un lac? Mes pantalons sont tellement raides que j'ai de la difficulté à plier les genoux. Au moins je n'ai pas peur de les perdre en bas de la falaise...

Oui nous avons été assez intelligents pour changer de sous-vêtements. Oui nous avons des lingettes de bébé. Question d'ajouter à l'illusion de la propreté...

Sans compter que j'ai vraiment, mais vraiment envie de manger des chips, du fromage, une poutine...mon Dieu, je vendrais l'âme à Jeff pour en avoir, là, tout de suite.

Manger n'importe quoi sauf du gruau, des fruits séchés ou du beurre d'arachide naturel qui m'assèche la yeule. Du bacon par exemple. Humm du bacon (imaginez-moi en train de saliver la langue sortie...)

J'ai l'impression que nous nous réveillons un peu plus tard qu'à l'habitude.

En fait, je n'ai pas d'idée de l'heure qu'il est puisque des nuages empêchent le soleil d'arriver jusqu'à mes paupières. Je perds donc mes repères.

Nous prenons plus de temps pour nous préparer qu'à l'habitude, ou peut-être est-ce dans ma tête que tout se passe au ralenti?


Autre vue sur Roundtable

Le vent est particulièrement fort ce matin.

Après avoir rangé toutes nos possessions dans les sacs, qui commencent à être très légers étant donné qu'il ne nous reste plus que quelques litres d'eau et des grenailles de nourriture, je me hisse sur la corde fixe installée la veille.

Je m'attends presqu'à retrouver les polonais, attachés au relais, morts de froid.

Ils n'y sont pas.

Un vent très intense sévit au relais semi-suspendu. Ce n'est pas très confortable. Je commence tout de même à hisser les sacs; je veux vraiment en finir, sortir de la face. Je suis las d'être exposé aux éléments, attaché à mon minuscule brin de vie.


Même s'ils ne sont plus très lourds, et qu'il est possible de hisser les deux sacs en même temps, l'opération tire tout de même du jus. L'avantage est que l'effort ragaillardi mon corps.


Jeff se lance dans la longueur 11d de la veille en moulinette. Il progresse assez rapidement dans la section initiale, mais son allure diminue alors qu'il atteint la section "poing". Après avoir profité du repos dans la cheminée, je le vois tourner le coin pour arriver à la section dulfer. Il semble assez étonné de la difficulté. De fait, il textera à son amour le soir même le message suivant:




J'ai vraiment très froid à ne pas bouger et assurer. J'attrape la doudoune de Jeff qui se trouve à être plus proche que la mienne dans les sacs, mais cela ne semble pas produire d'effets tangibles. Jeff repart en tête dans la longueur suivante, aussi 11d. Après une courte séquence bien à doigts, la fissure élargie et devient hors-largeur. C'est le Scotty-Burke Offwidth, le dernier vrai obstacle qui nous bloque le chemin du sommet.

Jeff se bataille donc avec "Scotty-Burke" pendant un bon bout de temps (1h30-2h00?). J'ai si froid que j'ai l'impression que le temps est arrêté. Mes dents claquent ensemble incontrôlablement. J'essaye de me frictionner, de danser sur place, de chanter dans ma tête, mais rien n'y fait. Je grelotte sans arrêt. Jeff avance à pas de tortue et je ne peux même pas le voir ni l'entendre. Ça doit être dur que je me dis.

Le soleil prend son temps pour arriver jusqu'à nous. Notre orientation sur la face est maintenant plein Ouest, mais les rayons ne sont plus loin, à quelques mètres seulement de moi. En m'étirant j'essaye de les toucher. Leur chaleur me ferait tellement de bien.

Can't reach

À un certain moment, je suis surpris de constater que Jeff tente de faire monter les sacs, mais je suis en partie assis dessus. En catastrophe, j'essaye de les décrocher, mais Jeff est trop rapide. Les sangles qui les retenaient se tendent au maximum.

Fuck

JJJJJJEEEEEEEEFFFFF!

Merde, le vent est trop fort, nous ne pouvons plus communiquer ensemble.


Évidemment, il ne peut les monter davantage. Il doit se demander pourquoi il n'arrive plus à tirer.


Après beaucoup d'efforts, je réussis à décrocher les sacs qui partent à voler dans le ciel.

À ce stade, je suis trop gelé pour grimper. Je fixe les poignées d'ascension et je me mets à me hisser.

Arrivé au offwidth, je constate que le camalot #5 est solidement coincé. Le déprendre consomme une  autre demie heure. En analysant la longueur, je me demande vraiment comment le jeune polonais a réussi à survivre en n'ayant même pas de #5, sa seule protection sur une vingtaine de mètres étant deux plaquettes. Peut-être que d'affronter le tout à la frontale l'empêchait de prendre conscience de la réalité?

Bref je finis par arriver au relais. Je suis vraiment déçu et débité. Il est plus de quatorze heures trente et je suis à me dire que nous allons encore passer une nuit sur le mur. Il ne reste pourtant que trois longueurs, mais la lenteur avec laquelle nous avons gravit la dernière ne laisse présager rien de bon.

Comme je suis toujours gelé, Jeff repars. Il complète la longueur assez rapidement.

Je seconde sans trop de problème pour arriver au dernier, mais vraiment dernier obstacle. Le relais  sur protections naturelles est encastré dans une caverne. Pour en sortir il faut passer un toit bizarre et rétablir dans une cheminée (encore).

Jeff hésite sur la séquence dans le toit. Ses pieds décrochent, mais il tient bon. Il disparait de ma vue dans la cheminée.

Il monte ensuite les sacs et je m'élance.

Le mouvement du toit est vraiment bizarre, mais je réussis à l'enchainer tout de même. La cheminée est pire encore. Jeff a protégé très haut à bout de bras et aller chercher la protection m'oblige ensuite à dégrimper dans la cheminée pour pouvoir en sortir. Je pense que je suis vraiment tanné. Tout obstacle m'apparait comme une épreuve insurmontable. J'ai une mauvaise attitude.

La dernière longueur est 5.6. Une vraie blague considérant ce que nous avons déjà gravi.

Nous convenons qu'arrivé en haut Jeff fixera une 2e corde que je grimperai en m'assurant au jumar pendant que Jeff se concentrerait à hisser les sacs. Alors que j'arrive pratiquement au sommet, je me rends compte que les sacs sont coincés dans un petit toit, loin à ma gauche.

Cali@#% d'os?#!

Je dois donc bifurquer de ma route pour aller les déprendre.


Fioup!

Les sacs disparaissent au sommet.

Je monte les dernier mètres en rangeant la corde au fur et à mesure que je monte en me servant uniquement de mes pieds.

Après tous ces efforts, nous sommes enfin au sommet.

Je vous laisse savourer les derniers moments que Jeff a captés à la caméra:  




Nous prenons le temps pour quelques photos et, évidemment boire les deux dernières bières qui nous restent.

Le soleil brille de nouveau


Manquerait ben juste une poutine pour être au paradis


Quelques blessures de guerre


Mais non ce n'est pas la fin du récit.

Parce que tout sommet nécessite de redescendre...

Nous nous mettons donc en chemin après avoir réparti le matériel dans les sacs. Ils pèsent tout de même plus de 70lbs chacun...

Nous ne faisons pas beaucoup de chemin avant que la lumière ne soit trop basse pour continuer.

Nous dormons donc au sommet d'El Cap, dans un camp improvisé. Une autre dure nuit s'annonce.


Notre camp pour la nuit

31. Jeff - 5.11d - 40m - Thinhand, ensuite cuphand ou poings fuyants, dulfer. Magnifique.
32. Jeff - 5.11d - 50 à 60m - Fingers, ensuite offwidth.
33. Jeff - 5.10d - 30m - Varié. Beau.
34. Jeff - 5.11a - 22m - Mouvement difficile et bloc dans le toit. Ensuite cheminée (encore).
35. Jeff - 5.6 - 23m - Facile :D

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