mardi 13 décembre 2016

MONARQUE: 33 ans d'obscurité plus tard (Chapitre 2)

Chapitre deux: L'état larvaire

Rendus au Centre d'interprétation, nous prenons tout d'abord le temps de chercher une toilette pour y déposer notre souper de la veille, étape qui s'avéra un échec déplaisant, alors que ces dernières se trouvent dans le bâtiment dont les portes ont la fâcheuse caractéristique de "pas démarrées".


Alors que je m'apprête à emprunter le sentier d'approche Steph me fait savoir qu'il doit trouver une cachette pour ses souliers d'approche.


Stéphane qui étudie l’aventure qui nous attend. Remarquez qu'il porte un sac à dos! :D

Dubitatif, je fais remarquer à Steph que la température frôle le point de congélation et que la marche du retour sera fastidieuse, mais rien à faire Stéphane s'éloigne sans m'écouter. 

J'imagine que si vous lisez ce billet, vous voulez savoir pourquoi ce dernier cache ses souliers. Pour cela, il faut me laisser vous parler un peu de Stéphane Perron :

Ce dernier a développé, aux fils des "quelques" années d'expérience de grimpe qu'il cumule, diverses techniques et éthiques d'escalade, notamment l'idéologie de grimper léger, très léger. Ce concept consiste à réduire au maximum le poids trimbalé par les grimpeurs afin de maximiser leur efficacité et leur capacité à surmonter les passages corsés. Nous n'apportons donc avec nous que le strict minimum. Bien que cette notion soit très subjective, il peut être intéressant de se demander ce qui peut être considéré comme absolument nécessaire. En voici quelques exemples: des varappes, un harnais, une corde, un rack minimal, un casque, trois mousquetons à vis, quelques longues dégaines, un débicoineur, des gants de tape et un outil permettant à la fois d'assurer et de rappeler. 

Outre ce matériel d'escalade, nous avons chacun un manteau coupe-vent (goretex), quelques épaisseurs de linge technique, un sac à dos (bien que Steph démente comme un beau diable avoir jamais apporté un sac à dos dans une grimpe multi-pitches (je vous réfère à la photo ci-dessus :p), un litre d'eau, quelques barres et gels d'énergie, une tuque, une lampe frontale et des hotpads. J'ajoute à cet attirail une paire de gants de travail, un litre d'eau supplémentaire et, bien entendu, des souliers pour l'approche et la descente (des Crocs) pour une question de confort d'abord, mais surtout parce que je sais que la descente sera longue.

Évidemment, notre aventure ne se déroule pas en Terre de Baffin ou à Yosemite, mais cet interlude vous permet de comprendre la logique derrière l'abandon que fait Stéphane.

De toute façon, selon les règles adoptées par Steph, chacun est responsable de porter ses effets personnels tout en maintenant le rythme de son compagnon. Convaincu de mon choix, je me dis: "rira bien qui rira le dernier".

Confiant de notre pari respectif nous empruntons le Sentier du pied des Monts, que nous lâchons rapidement pour nous perdre dans la forêt boréale pratiquement vierge. Bien qu'il n'y ait pas de sentier balisé, notre itinéraire est tout de même aisé à suivre. Des traces de passages sont perceptibles ici et là (branches cassées, mousse écrasée, etc.). Après une dizaine de minutes à monter légèrement en diagonale vers la droite, la végétation se relâche soudainement. Des roches de diverses grosseurs font leur apparition. La forêt fait tranquillement place au pierrier. Ce dernier est alors très humide, il en exhale une brume qui transit les os.

Un aperçu du couloir d'approche juste avant le dernier passage précaire

Nous progressons rapidement dans le couloir, rencontrant quelques passages plus délicats où il est pratiquement nécessaire de faire de l'escalade. Nous décidons de ne pas nous encorder. Ces passages ne sont pas particulièrement difficiles, mais plutôt précaires étant donné que le rocher est mouillé. Je comprends rapidement que redescendre ce couloir pourrait s'avérer assez ardu et/ou dangereux. 

L’un des passages précaires du couloir

Après moins d'une heure de marche rapide et soutenue, le couloir tourne de façon soudaine vers la gauche et devient de plus en plus prononcé et instable.

Arrive ensuite un plateau à partir duquel notre itinéraire devient évident. Sur notre droite se dresse un mur immense dont la section de gauche est coiffée d'immenses toits. Droit devant, une paroi de couleur orangé est coupée par quelques dièdres, dont un rendu particulièrement évident par la fissure parfaite qui sectionne sa gauche, juste au-dessus d'un large promontoire. Sur notre gauche, la vallée nous gratifie d’une vue spectaculaire. Tout en bas, le barrage est déjà très petit.

Une végétation dense, empêtrée de plants de bleuets et d'arbustes à fruits rouges, se dresse entre nous et la paroi. Nous trempons dans une marée de végétation suintante de bruine qui détrempe rapidement nos vêtements. Ma patience est rapidement mise à l'épreuve.

Après avoir invoqué en vain le nom de Dieu à quelques reprises, nous arrivons néanmoins à la vire du départ, laquelle s'avère très peu confortable, voire précaire. Steph fait alors remarquer que ses varappes sont complètement trempées. Je constate que mes bas le sont également étant donné que mes Crocs ne sont pas vraiment étanches. Je profite du fait que Steph déroule la corde pour sécher mes bas en les frictionnant avec mes mains. Au moins mes souliers d'escalade sont secs!

Photo prise juste avant le départ de la voie, le soleil prend son temps pour arriver jusqu'à nous. Il fait probablement 2C.

Il est à peine huit heures et, tout en m’encordant, je ne peux m’empêcher de m'ennuyer du confort de mes pantoufles. C’est le paradoxe du grimpeur qui me submerge : passer son temps à rêver d'aventures, puis, une fois qu'on est plongé dedans, vouloir immédiatement avancer la bande magnétique au moment où on se les remémore sur le coin d'un bon feu de foyer en dégustant un verre de Scotch avec ses potes.

Mais la réalité est toute autre pour le moment. Il doit faire tout au plus 2 degrés et le soleil n'est toujours pas visible, caché derrière l'imposant massif qu'est l'Acropole. J'anticipe que de longues heures s'écouleront avant que sa chaleur ne nous réconforte, car même si Monarque fait face au Sud, comme elle est située sur le flanc Ouest de l'Acropole et que nous sommes tard dans la saison, le soleil ne monte pas très haut dans le ciel.

Trêve de tergiversations futiles qui ne sont, sommes toutes, que des inepties pour retarder l'inévitable. Nous sommes au pied de la voie, la vie est belle, la vraie aventure peut maintenant commencer! Nous sommes prêts!

À suivre



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire