Chapitre un: L'œuf
Charles Roberge observe l’immense dièdre (centre) qu’il a grimpé sur l’Acropole des Draveurs en 2015 avec Fred Mauger en l’honneur de Gaétan Martineau : L’Envol du Monarque (5.10+, A1 - 200m). Monarque est la fissure évidente juste à gauche d’un petit dièdre en haut et à droite de la tête de Charles Roberge (identifiée par la ligne rouge) – photo crédit Fred Mauger et Charles Roberge
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J’ouvre la moitié d’une paupière, il fait
noir. À demi réveillé par l’alarme de mon réveil, je sors la tête de ma momie
pour écouter les bruits de l’aube. Tout est très calme en ce début du mois
d’octobre.
La première chose dont je prends conscience
sont les mouvements de Stéphane Perron, en train de rouler son sac de couchage.
À proximité de la tente, l’eau de la rivière Malbaie glisse bruyamment, dans un
bruit de gargouillis et de roulements de roches. Faut que je pisse.
Tout en évacuant le trop plein d’eau que
contient mon corps, je ne peux m’empêcher de songer à quel point il est rare
qu’un partenaire se réveille et soit prêt à grimper avant moi. En fait, je
n’arrive pas à me rappeler d’une seule fois où un partenaire a été prêt à
partir grimper avant moi. Je ne me suis jamais expliqué pourquoi, mais je pense
que c'est probablement l'enfant qui, malgré les années qui passent, sommeille
en moi et m'empêche de dormir sur plus d'une oreille la veille d'une journée de
grimpe. Pour moi, l'escalade a toujours été un jeu d'enfant, d'adulte qui
refuse de vieillir; c'est de partir à l'aventure avec ses amis, dans la nature,
beau temps, mauvais temps; c'est d'être surexcité la veille et d'avoir des
appréhensions, notre cœur battant à cent à l'heure en visualisant dans notre
tête l'aventure qui nous tiendra en haleine dès le lever du soleil; c'est de
prendre des risques, calculés soit, mais somme toute, inutiles.
Certes, l'escalade est une discipline
complexe alliant force brute, endurance, souplesse, technique, intelligence,
résilience et force mentale, mais ce que j'aime particulièrement, c'est la
simplicité qui l'anime: tirer sur des petits cailloux pour monter plus haut,
toujours plus haut. Mais aussi simple que cela puisse paraître, il ne faut pas
se leurrer puisqu'en escalade, il n'y a pas de compromis possible et la moindre
erreur peut causer la perte des deux grimpeurs; il faut donc choisir ses
partenaires avec soin.
Bref, lors de notre conseil de guerre de la
veille, Steph et moi avions déterminé de se lever extrêmement tôt (5h00 am)
afin de bénéficier d’une plage horaire de luminosité maximale pour affronter
l'inconnu qui se dressait devant nous: approche incertaine, possiblement engageante
et compliquée, itinéraire de grimpe difficile à anticiper, terrain instable
requérant prudence et jugement, longue descente, etc.
Après avoir garé l’auto dans le stationnement
du Camping du Pin Blanc où nous avons dormi, nous commençons à marcher vers le
Centre d'interprétation du Barrage. Chaque pas, chaque respiration, nous
rapproche de notre objectif: Monarque, cette voie devenue pour moi pratiquement
mythique depuis le jour où j’ai lu le récit de sa première ascension en 2009.
Je me dois ici de mentionner quelques mots
sur la première ascension de cette voie étant donné que le site Internet de
Gaétan Martineau, où le récit complet de son aventure était relaté, a malheureusement expiré quelques mois après son décès en juin 2015 :
Monarque a été grimpée pour la première fois
par Gaétan Martineau et Louis Paré, en septembre 1983. Armés de quelques
coinceurs mécaniques à tige rigide, d'un assortiment rudimentaires de bicoins
et d'hex ainsi que de souliers d'escalade primitifs, sans poudre de magnésie,
ces deux jeunes visionnaires s'attaquent à une ligne que Gaétan décrit comme
prometteuse et propre alors qu'il l'étudiait à la jumelle du fond de la vallée.
Complétant cette ascension dans le style le plus pur qui soit: à vue, sans
nettoyage préalable, sans l'usage de pitons et, surtout, sans recourir à
l'escalade artificielle, nos protagonistes prennent même le temps de déplacer
leurs relais pour optimiser la prise de photos (qui fait ça de nos jours? dans
une première ascension? sur une telle paroi?).
Une planification bien ficelée, sans
qu'elle ne viole le principe d'aventure (où l'improbable est encore possible),
une maîtrise de la technique de grimpe impressionnante, une appréhension d'un
niveau d'engagement élevé et l'acceptation des inconforts qui en résulteront,
leur permet de sortir de la paroi alors que le soleil est encore bien haut dans
le ciel! Quelques bières accompagnent leur célébration au sommet alors que la
descente se termine par un bivouac imprévu après qu'ils aient vainement pataugé
dans un ruisseau en pleine noirceur. C'est que, imaginez-vous, ils ne possédaient pas de
lampe-frontale!
L'immense amphithéâtre de la face Ouest de l'acropole des Draveurs dans le parc des Hautes-Gorges de la rivière Malbaie, Monarque se trouve à l'extrême gauche de la paroi
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Située sur la face Ouest de l’Acropole des
Draveurs, Monarque est l’une des voies relativement bien connues des
Hautes-Gorges, c'est à dire qu'il est possible que vous en ayez entendu parlé. Mais la difficulté de son accès, le ratio
approche-grimpe-descente, sans parler de son exposition, sont autant de facteurs
qui expliquent que peu de grimpeurs osent s’y aventurer. De fait, à ma connaissance, la voie originale n'a
été répétée qu'une, voire deux fois depuis son ouverture, il y a plus de trente ans.
Ayant en tête tous ces faits, Steph et moi marchons d'un pas ferme et décidé vers une aventure assurément épique.
Ayant en tête tous ces faits, Steph et moi marchons d'un pas ferme et décidé vers une aventure assurément épique.
À suivre.
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