mercredi 21 décembre 2016

MONARQUE: 33 ans d'obscurité plus tard (Chapitre 3)

Chapitre trois: Le cocon

Je ne me souviens plus comment nous avons déterminé qui aurait l'honneur de partir en tête, mais toujours est-il que je m'attache au bout "épicé". Mes mains sont déjà gelées, ça picote un peu.

Au moins, la ligne est évidente. Une magnifique fissure à mains coupée au laser et incroyablement propre scinde la paroi sur une distance d'environ 8 mètres. La gravir est un véritable délice. À son sommet se trouve une large vire à partir de laquelle il faut faire une courte traverse pour éviter un toit. Un feuillet très louche est suspendu à ce toit et la seule protection visible sur plusieurs mètres est de coincer un bicoin derrière ce dernier. Rien de rassurant au son creux qu'il émet, mais la paroi n'offre pas d'autre option. 

Après quelques mouvements de pontage dans le dièdre coiffé d'un arbre à sa sortie, la fissure principale est à portée de mains, légèrement sur ma gauche. Une transition exposée dans le vide, sur la lèvre du toit, me permet de me positionner en ligne. Bien arrimé à l'aide d'un coincement de poing, je constate que la suite des choses se corse drastiquement. À quelques mètres au-dessus de moi, la fissure élargit subitement pour former une niche hors largeur d'environ deux pieds. Je comprends que surmonter et rétablir les prochains mouvements constitueront probablement la section clé de cette longueur, surtout pour moi étant donné que mes mains sont étroites. Le mur est ici très vertical et je me sens petit, opprimé et vulnérable.

Aucun signe du soleil et je tremble de partout, transis par le froid et la peur. Mon sang circule lentement, comme du pétrole visqueux. À ce point-ci, je ne sens plus mes mains du tout; l'escalade devient extra-terrienne, distante et étrangère.

Au bord de la section plus large, agrippé à une corne pointue qui se trouve en son sein, je grafigne comme un chat qui veut sortir d'une baignoire avec mes pieds. Après quelques secondes d'hésitation à tenter de déchiffrer le beta magique, l'acide lactique me transporte dans un monde inondé de blanc. La peur achève de me saisir et hop! c'est un décollage non-autorisé qui s'ensuit alors que la corne qui retenait l'essentiel de mon poids me reste dans la main droite! Pendu au bout de la corde, indemne, je compte les étoiles qui dansent derrière mes paupières. Ça goûte la rouille dans le fond de ma gorge. Après plusieurs minutes de repos, je réessaye le passage, sans succès.

Je suis surpris par la difficulté du passage. Assurément, Gaétan était au sommet de son art quand il a solutionné ce passage-là. Bien que déjà grande, mon admiration pour cet homme ne cesse de grandir au fur et à mesure que j'en apprend sur ses aventures.

Déconfit, je demande à Steph de me redescendre.

- Fuck c'est toff.
- Man, mes pieds sont complètement gelés.

Il ne s'agit pas vraiment d'une plainte, mais tout simplement d'une constatation que Steph fait. Pas le moins du monde ennuyé par la situation, il frictionne ses pieds nus, remet ses varappes et se prépare à grimper. De façon experte, Stéphane atteint mon plus haut point. En habile grimpeur de fissures hors largeur Stéphane solutionne assez rapidement la section qui m'a repoussé. C'est beau de le voir aller, de constater la confiance qu'il a en sa technique et de sentir la résolution qui l'anime. La suite des choses deviendra toutefois un bon combat pour mon ami. Affecté lui aussi par le froid, sa progression ralentit à la vitesse d'une limace. Je l'entends grogner alors qu'il essaye de rétablir la circulation du sang dans ses membres. Je profite de ce moment de vulnérabilité pour prendre une photo.

Stéphane qui se bat dans la 1ère longueur avec les mains gelées

Quelques minutes plus tard, il bascule sur une vire, au-delà de mon champs de vision. Je lui donne de la corde, encore et encore; un délai qui me semble interminable s'écoule. Le doute s'installe en moi, comment se fait-il qu'il ne confectionne pas de relais? Il avait déjà grimpé environ trente mètres avant de sortir de la face. Il me semble qu'à sa place j'aurais tout de suite cherché un endroit propice pour établir un relais.

Seul à un relais, c'est toujours la même histoire qui se répète: l'anticipation nous gagne, les scénarios les plus loufoques et improbables s'imposent à notre esprit, les minutes se transforment en heures; l'expérience ne semble pas y changer pas grand chose.

Une voix lointaine, comme portée par le vent m'arrache à mes pensées:

- Fallait-tu aller dans le gros dièdre sale à droite?
- Ah calisse non fallait aller tout droit!
- Fuck...bon jva mettre une pro et  jva dégrimper.

J'avale un bon vingt mètres de corde, puis ça repart par en haut. Steph est de nouveau sur le bon chemin. Quelques minutes plus tard:


- Auto-assuré!

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