jeudi 29 décembre 2016

MONARQUE: 33 ans d'obscurité plus tard (Chapitre 4)

Chapitre quatre: Le Monarque

Rapidement la corde qui nous sépare est avalée. Je ne prends même pas la peine d'enlever mon manteau pour grimper. Je ne fais qu'enfiler mon sac à dos. Arrivé au passage clé, les choses se passent différemment. Le fait d'être en second semble me donner des ailes. Je serre les prises beaucoup moins, ce qui me permet de rétablir au-dessus de l'alcôve.

Sans être aussi difficile, la fin de la fissure mettra néanmoins ma résilience à l'épreuve. Prendre "à sec" serait tellement simple, mais des exclamations de surprise provenant d'au-dessus de nous m'apprennent que des randonneurs nous ont repéré. Il ne peut plus être question de prendre "à sec", l'orgueil oblige.

Après m'être parlé sérieusement, je finis par basculer sur la vire qui marque la fin des difficultés de la première longueur.

Caché derrière de petits arbres, Stéphane avale le mou au fur et à mesure que je m'approche de lui. 

Alors que je m'échoue à côté de Steph, le soleil m'accueille de sa chaleur bienfaitrice. Recroquevillé comme un foetus, je me sens soudainement renaître.

Il est comique de constater à quel point la grimpe d'aventure s'apparente à une série d'épisodes maniaco-dépressif: ça va ben, ça va ben, pis après ça va mal, ou vice-versa. Mais on aime ça et on ne peut s'empêcher de recommencer à chaque fois. On est complètement prisonnier, non, scotché, par cette dualité.

Mais alors que la chaleur revient dans mes membres, une douleur intense commence à se faire sentir. Mes mains dégèlent et je dois serrer les dents pour ne pas crier. Stéphane, lui, se bidonne en silence.

La raison finit par me revenir au bout de quelques minutes de calvaire. 
  • Méchant lead mon gars! Ctait propre en ta!
  • Ouin, c'était pas facile, j'avais les mains gelées solides. C'est par là?
Il pointe vers un passage étroit pas tout à fait vertical sur notre droite. J'hoche affirmativement. Comment je le sais? Je ne le sais pas. Mon instinct me pointe tout simplement cette direction. Il n'y a pas d'autre explication.

Encore affecté mentalement pas mes deux chutes, je laisse Stéphane repartir sur la route des épices.

Après avoir négocié le premier passage précaire, Steph arrive à la longueur dite "du Monarque": un mur marron qui rappelait à Gaétan Martineau les magnifiques couleurs du papillon du même nom.

Étonnamment, la progression est lente et, vu le passage étroit, je ne vois plus Stéphane. Y aurait-il un autre passage clé?

- Man tout est lousse icite...
- QUOI? J'AI PAS ENTENDU
- JE TRIPPE VRAIMENT PAS!

O_0

Un vrai délice pour mes oreilles!

Stéphane Perron éprouve de la peur.

J'avais toujours imaginé Perron comme une sorte de modèle, un héro invincible. La légende en prenait soudainement pour son rhume.

- Lâches pas! Prends ton temps!


La corde recommence à monter doucement et Stéphane m'annonce bientôt qu'il a installé le relais.

J'attaque la simili cheminée pour me rétablir sous le Monarque. Drôle de passage précaire. Il fallait garder la tête froide.

Je m'engage sur le rocher brun et orange pour me rendre compte qu'effectivement beaucoup de blocs sont détachés et précairement posés les uns sur les autres, mais l'escalade est ici facile: 5.7 tout au plus. Comme quoi on peut chier dans notre froc n'importe où. 

Je me demande si la paroi était dans cet état lorsque Gaétan et Louis sont passés ici? Gaétan ne m'en a jamais fait mention. Il est vrai que le degré de résilience face aux risques est très subjectif et varie en fonction des époques. À l'époque de Gaétan, chuter n'était pas tout à fait accepté encore dans la mentalité des grimpeurs. Il n'existait, pour ainsi dire, aucune paroi aménagée comme c'est le cas aujourd'hui. De nos jours, tomber n'est qu'un pas de plus dans le processus nécessaire pour atteindre le sommet d'une longueur. Mais même si la tendance contemporaine tente de reproduire les conditions sécuritaires des gyms sur les parois extérieures, il demeure des endroits où tomber n'est pas une option à l'extérieur.

Dans ces moments, ce qui fait la différence entre un bon et un mauvais grimpeur, c'est la façon de gérer les risques. Et ce genre de processus ne s'apprend pas à l'intérieur. Ce n'est que confronté à des situations stressantes, à petites doses, qu'on peut assimiler les paramètres nécessaires pour résoudre l'équation. Évidemment, personne n'est à l'abri de mésaventures; les chocs post-traumatiques forgent le grimpeur, en bien ou en mal. C'est ce que Stéphane m'expliquera plus tard, que lui aussi a vécu de durs moments en escalade.


Bref, en haut de la longueur, Perron est juché sur une petite vire triangulaire de deux pieds de largeur maximum. Au-dessus de ce beau petit perchoir très aérien se dessine un dièdre parfaitement scindé par une petite fissure à doigts du côté gauche.

La prochaine longueur s'annonce magnifique et stimulante! Et mon envie de repartir en tête refait surface!

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